Comment faire de l’Europe un leader du numérique ?

Tobias KOLLMANN et Amal TALEB

Président du Comité “Jeunes entreprises du numérique” allemand et Vice-Présidente, Conseil National du Numérique

Tobias Kollmann, Président du conseil consultatif allemand « Nouvelle économie numérique » (BJDW), et Amal Taleb, vice-présidente du Conseil national du numérique (CNNum), ont tous deux participé à la conférence « Innover à l’ère numérique : réinventons notre économie » organisée par Confrontations Europe au Conseil Economique et Social Européen. A cette occasion, ils ont pu échanger leurs points de vue sur la manière dont l’Europe pourrait devenir le prochain chef de file du numérique.

Les dernières vagues en matière de technologie numérique, en provenance des États-Unis et qui nous ont apporté les big data, l’Internet des objets, le cloud computing et de nouveaux mécanismes de sûreté des infrastructures, ont frappé l’Europe très durement.  « Mais il faut s’attendre prochainement à un tsunami numérique (avec la blockchain et l’informatique quantique, par exemple) », soulignent Amal Taleb et Tobias Kollmann. Cela sera un véritable choc pour nos structures politiques et sociales, il est donc urgent que l’Europe s’y prépare pour en profiter.

Quelle est la situation de l’UE ?

Concernant les entreprises que l’on appelle des licornes, nombreuses sont celles parmi les 161 identifiées qui opèrent dans le secteur du numérique, mais l’Europe en compte trop peu , selon Tobias Kollmann. On en dénombre 93 aux États-Unis, 38 en Asie et seulement 15 en Europe. Parmi ces 15, quatre sont situées en Allemagne, quatre autres au Royaume-Uni, deux en Suède et une en France. « L’Europe n’est pas réellement présente sur le marché international concurrentiel de l’Internet dominé par les start-up du numérique » reconnait T.Kollmann.
En outre, la capitalisation boursière des « Big 5 du numérique » cotées aux États-Unis est supérieure à celle des 30 entreprises allemandes cotées au DAX réunies. « Nous devons prendre conscience que l’Europe est absente du paysage numérique », soutient-il. En d’autres termes, le numérique « made in Germany » ou « made in Europe » n’existe pas pour le
moment. « Selon quel processus ou modèle opérationnel innovant une start-up de la Silicon Valley (disposant d’un capital-risque important) pourrait-elle révolutionner l’industrie ? » Il regrette que les Européens se posent toujours cette même question. La réponse à cette question essentielle, la voici : « faisons-le nous-mêmes ! » Il aimerait que nous ayons le courage de concevoir la plate-forme adéquate par nos propres moyens. Il insiste sur la nécessité d’agir par nous-mêmes et de nous ouvrir à la concurrence en ligne aussi vite que possible.

Comment la révolution numérique fonctionne-t-elle ?

« La transformation numérique est importante dans tous les secteurs, car les nouveaux modèles opérationnels s’appliquent également aux industries traditionnelles », explique-t-il. Selon lui, aucun secteur ne peut échapper à cette transformation, qui se traduit par deux phénomènes :
D’un côté, on a l’effet piranha, lorsqu des start-up de petite envergure mais très agressives tentent d’investir des pans entiers de la chaîne de valeur. Pour cela, elles mettent en place des processus opérationnels sophistiqués et grignotent le marché pour s’y faire une place. C’est ce que les start-up « FinTech » sont en train de faire dans le secteur de la banque, par exemple.
D’un autre côté, on a l’effet éléphant, lorsque des acteurs majeurs du numérique utilisent leur pouvoir de marché pour quitter leurs domaines activité d’origine et pénétrer de nouveaux marchés. Ce faisant, ils piétinent tout sur leur passage. C’est ce que Google va faire dans le secteur de l’assurance en obtenant une licence d’assureur pour le marché européen via Londres, puis dans le secteur automobile. Netflix s’attaque à la télévision linéaire, AirBnB a déjà changé la donne dans le secteur des loisirs et des voyages… Et Amazon, qui vient de lancer son service de livraison en Allemagne, exerce une une pression énorme sur des entreprises comme Saturn et Media Market, mais aussi sur le secteur alimentaire qui pâtit du lancement d’Amazon Fresh ou Amazon Pantry. « L’ancienne règle selon laquelle les gros mangent les petits n’est plus valable.  La nouvelle règle à l’ère du numérique, c’est : les rapides mangent les lents. »

Des mesures positives de la Commission Européenne

Tobias Kollmann et Amal Taleb se félicitent tous deux du dernier paquet « Numérisation de l’industrie européenne » présenté en avril 2016 par la Commission européenne, qu’ils jugent de bon augure. « Les centres de données, le cloud européen, la 5G ainsi que les normes et les certifications sont des points importants qui aideront l’industrie européenne à se doter d’un avantage concurrentiel », souligne Amal Taleb. À cet égard, le travail de la Commission européenne lui semble être le moyen de « prendre la vague et atteindre notre destination ».  Néanmoins, il faut encore s’assurer que l’industrie européenne est en position d’exploiter ces nouvelles technologies. Elle attend ainsi de voir ce qu’il va ainsi concrètement se passer.

Quelles sont les solutions ?

En se fondant sur leur expérience, Tobias Kollmann et Amal Taleb sont en mesure de proposer des solutions pour aider l’Europe à affronter la transformation numérique.
Pour Amal Taleb, l’éducation et les compétences sont primordiales. Dans l’UE, on manque de personnes qui maîtrisent correctement tous les aspects technologiques. Elle souhaiterait qu’on enseigne l’électronique dans le cadre des sciences humaines. En d’autres termes, elle pense que savoir coder est très important, mais qu’il est aussi crucial que les gens aient des connaissances plus larges dans les domaines des mathématiques et de l’histoire.  Selon elle, c’est la seule façon de s’assurer que la révolution numérique présente des bénéfices et s’inscrive dans notre culture. Elle promeut l’approfondissement des échanges entre les instances éducatives et universitaires en Europe.
La question du financement est le deuxième point mis en avant par Amal Taleb. Jusqu’à présent, en Europe, on s’endette pour créer des entreprises au lieu de faire appel à nos propres ressources, ce qui signifie que les sociétés dépendent du secteur bancaire traditionnel et qu’elles ne sont donc pas encore en phase avec les avancées techniques qui ont commencé à déferler.
Amal Taleb appelle également les autorités publiques à mettre en place un cadre juridique clair, lisible et appliqué correctement sur tous les territoires pour insuffler de la confiance. Pour cela, nous avons besoin de normes qui seront facilement adoptées par les entreprises et leur permettront de se développer dans toute l’Europe. « Il serait bon d’essayer de forcer les acteurs non européens à s’aligner sur nos normes européennes, notamment en matière de protection des données personnelles, d’infrastructures, de règles d’identification et d’autres thèmes relatifs à la sécurité. Ainsi, les entreprises européennes pourront se développer dans un environnement juridiquement fiable, ce qui représente un avantage concurrentiel. » Elle aborde également la question de la confiance dans les plates-formes. Si l’on considère les relations entre les entreprises B2C et les plates-formes, il est clair selon elle que les consommateurs européens n’ont pas confiance dans les plates-formes non européennes qu’ils utilisent malgré tout. Pour elle, il est essentiel de réfléchir à la manière dont les entreprises européennes pourraient communiquer entre elles et choisir leurs interlocuteurs en Europe sur la seule base du mérite. Elle invite également les États membres et l’UE à réfléchir à l’impact de la transformation numérique sur les emplois et sur le travail.
Tobias Kollmann insiste quant à lui sur trois points.
Premièrement, il est nécessaire de créer des start-up innovantes qui ont le potentiel de devenir la prochaine génération de leaders européens sur le marché mondial. Deuxièmement, il faut faire passer nos entreprises des industries traditionnelles et nos PME à l’ère de la numérisation afin de conserver le plus de sociétés possible. Troisièmement, étant donné que ni le premier point ni le deuxième ne seront accomplis prochainement, Tobias Kollmann insiste sur la nécessité de resserrer les liens entre les start-up et les entreprises des industries traditionnelles ou PME, et de favoriser la collaboration entre elles.  « Les start-up représentent l’innovation numérique, tandis que les entreprises des industries traditionnelles représentent l’accès au marché ; ensemble, elles sont donc susceptibles de créer un environnement numérique profitable à tous en Europe. » Il est convaincu que la coopération entre les industries et les start-up européennes est la solution pour que notre continent devienne le chef de file du numérique. (Avril 2016)

Les licornes sont des entreprises qui ne sont pas encore cotées en bourse, mais dont la valorisation est supérieure à 1 milliard USD.

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