Comment déjouer la concurrence fiscale entre Etats membres

Pascal SAINT-AMANS

Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales (CTP) à l’OCDE

Dans un contexte de mondialisation économique et financière, la souveraineté fiscale est devenue de plus en plus un leurre mais, paradoxalement, cette situation a conduit les États à coopérer fiscalement plus étroitement afin de protéger leur souveraineté.

La fiscalité est le droit régalien de prélever unilatéralement une contribution aux charges publiques. Le consentement à l’impôt est un des principes fondateurs de la démocratie et place la fiscalité au cœur de la souveraineté des États. Pendant des décennies, les limitations à cette souveraineté ont été limitées à la conclusion de traités fiscaux visant à favoriser les investissements en assurant l’élimination de la double imposition. Pour autant, dans un contexte de globalisation économique et financière avec des acteurs privés mondiaux dont le poids économique dépasse celui de nombreux États, la souveraineté fiscale est apparue de plus en plus nominale et de moins en moins réelle. Paradoxalement, le séisme de la crise financière de 2008 a conduit les États à revisiter ce paradigme : la coopération fiscale est devenue pour eux le moyen de protéger leur souveraineté réelle, fût-ce au prix de tensions, comme l’établissement de listes noires et le développement de nouveaux standards. C’est ainsi qu’à partir de 2008, le G20 est devenu le moteur de changements fondamentaux visant à mettre fin au secret bancaire à des fins fiscales ou à durcir les règles pour endiguer l’évasion fiscale (légale) des entreprises notamment multinationales.

Il s’agit en réalité d’une sorte de régulation de la mondialisation dans le domaine de la fiscalité, qui a conduit à l’établissement de nouvelles institutions, plus inclusives, en charge d’assurer une pression par les pairs, via l’examen par les pairs tout en égalisant les conditions de concurrence (mauvaise traduction du concept anglais de “level playing field”). La concurrence fiscale s’est donc vue limitée dans ses aspects les plus opaques (secrets divers et variés) ou complexes (schémas juridiques déconnectant la localisation des profits de celle des activités).

Lutte contre l’optimisation fiscale agressive

Pour assurer ce travail, l’OCDE, travaillant avec le G20, a invité un nombre croissant de pays à participer à ses travaux, bien au-delà de ses propres membres. À ce jour, 147 juridictions sont membres du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, qui s’assure que les engagements des États en matière de transparence soient bien transposés dans les législations nationales à travers un système d’examens par les pairs. En matière de lutte contre l’optimisation fiscale agressive des entreprises multinationales, connue sous l’acronyme anglais de BEPS (Base Erosion and Profit Shifting(1)) : 110 juridictions travaillent ensemble au sein du Cadre inclusif sur le BEPS. Le contexte actuel, avec notamment les enjeux que pose la numérisation de l’économie en matière fiscale, nécessite clairement une réponse cohérente de la part des États.

En matière de BEPS, des rapports sur quinze actions majeures ont été publiés fin 2015, et sont actuellement en phase de mise en œuvre. Là encore, les engagements des États sur quatre « standards minimum » sont soumis à l’examen des pairs pour assurer une cohérence dans leur mise en œuvre. Au niveau de l’Union européenne, des directives (dites ATAD pour Anti-tax Avoidance Directives) viennent également transformer les mesures de l’OCDE en hard law pour les intégrer au sein des législations des États membres. L’un des standards minimums du Projet BEPS concerne l’obligation pour certains groupes d’entreprises multinationales de remplir des « déclarations pays par pays », contenant notamment des informations sur les actifs, les salariés et les impôts payés par ces groupes. Ces déclarations sont ensuite échangées entre les administrations fiscales, pour leur permettre d’identifier les incohérences et les risques.

Si la lutte contre la compétition fiscale dommageable a manifestement connu des progrès sans précédents, la compétition fiscale elle-même, c’est-à-dire la pression à la baisse de la fiscalité directe des entreprises (mais aussi des personnes physiques les plus mobiles) est une réalité qui s’est traduite par une baisse du taux moyen d’impôt sur les sociétés notamment. Aux États-Unis, le taux moyen d’impôt sur les sociétés tombé à 25 % (21 % au niveau fédéral) marque le début d’une nouvelle vague ou au contraire la fin. Les États-Unis sont le dernier pays à s’être aligné sur ce que les États européens et les autres nations du monde avaient précédemment fait. Il faut néanmoins garder en tête le fait qu’un impôt est le produit d’un taux et d’une base, les bases fiscales ayant justement été élargies par la coopération fiscale, le projet BEPS et l’échange automatique de renseignement.

1) Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices.

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