Accord de Paris : la route sera longue

Michel CRUCIANI

Chargé de mission au Centre de Géopolitique de l’Énergie et des Matières Premières de l’Université Paris-Dauphine

Le 12 décembre 2015, la communauté internationale traversait un moment d’euphorie, avec l’adoption de l’Accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique. Six mois plus tard, les attentes restent fortes alors que certains pays pourraient tarder à ratifier un accord dont l’entrée en vigueur est prévue pour… 2020.

Ce n’était qu’un début. En décembre dernier, les négociateurs ont approuvé au Bourget un texte commun destiné à contenir le changement climatique. Mais, comme le requiert le processus international, le texte, doit d’abord être signé par les chefs d’État ou de gouvernement, puis soumis à une procédure de ratification, impliquant en général les parlements nationaux. La première étape de ce cheminement est bien engagée : présenté formellement le 22 avril 2016, l’Accord de Paris avait déjà reçu 177 signatures (sur 193 États membres de l’ONU) début juin.
La seconde étape sera plus longue. Les négociateurs l’avaient prévu, puisqu’ils ont fixé à 2020 l’entrée en vigueur du texte. Pour qu’il puisse s’appliquer, il faudra qu’il obtienne la ratification d’au moins 55 pays totalisant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
À ce jour, l’optimisme domine pour ce second critère : les deux premiers émetteurs du monde, la Chine (23 % du total) et les États-Unis (16 %) ont affirmé tout mettre en œuvre pour une ratification avant la fin 2016.
UE, troisième émetteur de la planète
La promesse de la Chine semble très solide, car le pays vient d’adopter son 13e plan quinquennal, qui oriente résolument le pays vers une économie plus sobre en carbone. D’ailleurs, la London School of Economics estime que la Chine a déjà atteint en 2015 son pic d’émissions. La situation des États-Unis semble beaucoup plus incertaine. Si la sincérité du président Obama ne souffre aucun doute, la campagne électorale en cours ne favorise guère le consensus, et le candidat républicain claironne qu’il abrogera la participation de son pays s’il est élu. Une défection des États-Unis donnerait un rôle déterminant à d’autres grands pays (Inde, Russie, Japon, Corée du Sud, Canada, Iran et bien sûr Europe), aucun autre État ne dépassant 1 % des émissions planétaires.
Avec 11 % des rejets mondiaux, l’Union européenne reste le troisième plus grand émetteur de la planète. Plusieurs de ses États membres avancent très vite : ainsi, après la Hongrie, la France a déjà achevé le parcours parlementaire, avec un vote favorable à la quasi-unanimité, qui a permis au président Hollande de signer le décret de ratification le 15 juin 2016. Cependant, cette dernière ne pourra être entérinée à l’ONU que dans le cadre de l’Union européenne, ce qui suppose l’unanimité de ses 28 membres.
On peut apprécier positivement le fait que plusieurs membres de l’UE prennent leur temps pour débattre de leur ratification. Après tout, il s’agit d’un engagement lourd, qui va orienter de manière probablement irréversible l’activité dans de nombreux secteurs économiques. Une appropriation des enjeux et un accord assumé par le plus grand nombre paraissent les meilleurs gages de réussite des politiques publiques à entreprendre. Mais, dans le même temps, on ne peut pas s’empêcher de craindre qu’en retardant leur feu vert, certains États se forgent des armes pour mieux influer sur les décisions à venir à l’intérieur de l’Union.
En effet, lors de la phase préparatoire des négociations sur l’Accord de Paris, les chefs d’État et de gouvernement s’étaient contentés d’approuver, lors du Conseil Européen des 23 et 24 octobre 2014, le cadre proposé par la Commission. Il comportait certes un objectif clair : la réduction de 40 % des émissions d’ici 2030, mais de nombreuses modalités restaient à préciser. Les discussions s’annoncent d’autant plus âpres qu’elles concerneront un « paquet Énergie-Climat » très dense, incluant vraisemblablement la réforme du marché de l’électricité, le soutien aux énergies renouvelables, la promotion des ­liaisons électriques transfrontalières, l’efficacité énergétique… On voit bien la tentation pour un négociateur d’agiter la menace d’une non-ratification pour être mieux écouté. Les basculements politiques survenus au terme d’élections postérieures au Conseil d’octobre 2014 accroissent encore ce risque. Un précédent existe déjà : la Pologne a mis son veto à la ratification par l’Union européenne de l’accord de Doha, relatif à la deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto (2012-2020), qui comblait le vide jusqu’à l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris. Pourtant, la Pologne avait accepté, en 2009, l’objectif communautaire enregistré ensuite à Doha d’une réduction des émissions de 20 % pour 2020.
Dans le monde, d’autres pays suspendent leur ratification aux progrès des négociations internationales qui se poursuivent. L’Accord de Paris, acquis lors de la 21e conférence des parties (COP 21), a volontairement renvoyé aux conférences suivantes plusieurs sujets épineux. Une réunion à Bonn, du 16 au 26 mai, visait précisément à préparer la COP 22, qui se déroulera à Marrakech en novembre 2016. Sous leur apparence technique, les dossiers abordés masquent souvent des aspects politiques.
Il en va ainsi de la clause dite MRV (Measuring, Reporting and Verification, ou Mesure, Notification et Vérification). Il s’agit en principe de s’accorder sur les instruments et les procédures à utiliser pour évaluer l’impact sur le climat de chaque pays. Dans certains cas, le calcul se fait aisément, par exemple pour la combustion du charbon. Mais d’autres situations présentent une grande complexité, par exemple pour apprécier l’absorption du CO2 consécutive à des opérations de reboisement. L’incertitude génère deux conséquences. En premier lieu, de façon générale, l’Accord de Paris invite les États à rendre publics leurs objectifs : ce sont les « intentions de contribution déterminées au niveau national » (INDC en anglais). Au 12 juin 2016, on comptait 162 États ayant remis leurs INDC. Comment juger si ces intentions ont été suivies d’effet sans instruments de mesure impartiaux ? En second lieu, de façon plus ponctuelle, certains États en développement misent sur une rémunération du service climatique qu’ils rendent en préservant leurs zones forestières. À quoi bon s’interdire de défricher si la communauté internationale ne sait pas mesurer le sacrifice consenti ?
Difficultés du volet financier
Enfin, reviennent inévitablement les difficultés relatives au volet financier de l’Accord. En décembre 2015, les pays développés ont réitéré leur promesse de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour aider les pays en développement. Les questions qui surgissent touchent la composition de ces montants et leur affectation. Sur la composition, les pays pauvres souhaiteraient qu’elle se résume intégralement à des aides publiques, alors que les donateurs préféreraient comptabiliser tous les apports, y compris les financements privés destinés à des projets définis comme éligibles par des institutions internationales qualifiées. Sur l’affectation, divers pays, tels que l’Iran, redoutent que l’on applique des critères trop politiques pour sélectionner les bénéficiaires ; en outre, on n’a pas encore déterminé quelle serait la part destinée aux réductions d’émissions et la part réservée à l’adaptation au changement climatique.
Pour beaucoup d’observateurs, la discussion sur ces 100 milliards détourne des enjeux essentiels. Il s’investit chaque année dans le monde entre 2 000 et 10 000 milliards de dollars (selon les modes de comptabilisation) dans des infrastructures exerçant un impact climatique : extraction de charbon, pétrole et gaz, routes, ports et aéroports, bâtiments résidentiels et industriels, etc. En filtrant ces investissements au regard de leurs conséquences climatiques, la communauté internationale ferait un bien meilleur usage des capitaux disponibles plutôt qu’en laissant faire puis en se cotisant pour réparer les dégâts. Cette approche nous ramène à la notion de « prix du carbone », permettant de classer les projets à l’aide d’un critère universel. L’Union Européenne avait pris une position de pionnière en lançant le système ETS (Emission Trading Scheme) d’échange de quotas d’émissions en 2005, mais elle se révèle incapable de réformer ce mécanisme, devenu aujourd’hui inopérant parce que le cadre dans lequel il s’exerce a profondément changé. La véritable contribution que l’UE apporterait à la réussite de l’Accord de Paris consisterait à redonner tout son sens à un prix du carbone.

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