Retrouver une boussole pour orienter les comptes publics

Michel AGLIETTA et Carole ULMER

Économiste au CEPII et Directrice des études de Confrontations Europe

Les économies modernes doivent revoir complètement leurs outils de comptabilité publique en intégrant notamment l’environnement, l’apport du système de santé ou de l’école. Cela suppose d’ouvrir un débat public pour définir les finalités au-delà du PIB.

Sept ans après la remise du rapport Stiglitz, force est de constater que peu de choses ont changé dans notre appréhension de la croissance et de la qualité de vie. Notre modèle de croissance ne semble plus répondre aux attentes des citoyens. L’idée d’une comptabilité nationale est née de l’urgence politique en 1940. Le Trésor britannique, sur la suggestion de Keynes, entendait évaluer les ressources que le pays pouvait mobiliser pour la guerre. En 1945, le travail a été poursuivi par des économistes mandatés par l’ONU. La leçon de cette histoire est que l’impulsion politique est indispensable pour provoquer une mutation dans la comptabilité. A partir de 1945, l’idée que la demande globale puisse être gérée pour préserver une croissance régulière s’est imposée. La régulation de la demande demeure indispensable comme pilier de la politique macroéconomique. Mais la comptabilité nationale reste gravement incomplète, dès lors que la croissance ne peut plus être tenue pour acquise et que son lien avec le progrès requiert un sérieux approfondissement.
Toutefois, l’urgence politique qui pourrait engager aujourd’hui les Etats à une vaste réforme de leurs systèmes comptables ne s’est pas encore manifestée. Pourtant, l’incertitude sur le développement économique futur devrait conduire les politiques à s’en saisir.
Certains font du PIB l’ennemi à abattre. Car le PIB n’exprime pas le bien-être social. Il n’en est pas moins essentiel à la politique économique. L’usage du PIB comme référentiel unique des niveaux de vie de la population et de la richesse des nations comporte deux limites majeures. La première est qu’il y a des problèmes de mesures avérés en matière de flux. Les activités sont évaluées à leur prix de marché sans prise en compte des externalités. Les activités non marchandes, comme les services de santé ou d’éducation, sont estimées à leurs seuls coûts de production. Or, cela ne dit rien de la qualité de ces services. Et le PIB ne mesure pas l’immense apport de nombreuses innovations à la qualité de vie. La seconde limite est qu’il ne mesure que le capital matériel dont les contreparties sont des droits de propriété. L’information sur les autres ressources productives, naturelles, humaines, immatérielles, n’est pas intégrée dans la comptabilité. Or, durant les quarante dernières années, les risques écologiques, notamment, sont devenus incontournables.
Piloter le long terme au travers du seul prisme du PIB est donc indéniablement insuffisant et biaisé. Traduire des objectifs de développement soutenable en actions concrètes au niveau de chaque pays, ne sera pas réalisable sans indicateurs mesurables et pertinents, capables de guider les choix des politiques publiques. Il faut établir une comptabilité patrimoniale – prenant en compte le capital naturel, humainet immatériel. Dans la lignée des travaux sur la croissance inclusive, initiés par le Forum économique mondial, la Banque mondiale et l’ONU, il faut mesurer le capital à partir duquel on peut poser les conditions de soutenabilité de nos économies. Prenons un exemple concret : la dépollution d’une rivière. Combien est-on prêt à payer pour engager cette action qui comporte des externalités ?
Pourquoi passer par les prix est nécessaire ? De facto, nous ne vivons pas dans un monastère où les décisions seraient collectivement partagées. Dans une économie de marché telle que la nôtre, l’ajustement des prix par les collectivités publiques permettant de créer les incitations pour les acteurs économiques – au premier rang duquel les entreprises – permet d’enclencher les investissements nécessaires à cette croissance inclusive et soutenable souhaitée. En d’autres termes, la médiation par les prix est indispensable pour rendre compatible la rentabilité financière – qui reste le baromètre des actions d’investissements des entreprises – et le rendement social souhaité.
On pourrait, par extension, imaginer deux corollaires. L’un consisterait à reconnaître le rôle différent que les entreprises sont appelées à jouer : cela implique de repenser leur rôle comme acteur d’une société durable et de ce fait, de reconstruire leur comptabilité. Il s’agirait, ensuite, d’améliorer les référentiels de l’économie publique : le bien-être social n’est pas l’agrégation des préférences individuelles. Il dépend, du moins en partie, d’une politique publique. Le choix d’une nouvelle boussole implique plus fondamentalement de définir de nouvelles finalités, de nouveaux modes de fonctionnement et cela passe par un débat de société ouvert et profond, prenant en considération l’ensemble des acteurs.
 
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