Vers une économie post-capitaliste ?

Michel BAUWENS

Fondateur de la Fondation pour les alternatives P2P

L’économie collaborative se développe-t-elle toujours en faveur de ses utilisateurs ? Pas forcément. Des plateformes, comme Airbnb, Uber ou Facebook, opèrent une véritable captation de la valeur sans rétribution partagée. Il serait juste que les utilisateurs soient eux-mêmes détenteurs des plateformes.

Grâce à la technologie numérique et à Internet, la société civile est aujourd’hui capable de s’auto-organiser et de créer de la valeur sans permission, c’est-à-dire sans nécessairement passer par des intermédiaires comme les entreprises ou l’État. Cette économie collaborative basée sur un fonctionnement de « pair à pair » prend deux formes principales. La première, le pair à pair commun rassemble des personnes autour d’un objet commun (logiciel libre, design partagé…). Ce commun est une chose partagée, maintenue et défendue par une communauté qui émet ses propres normes de régulation. On y retrouve trois éléments fondamentaux : la ressource, la communauté qui gère cette ressource et une gouvernance active qui édicte des règles. Cette forme de collaboration des « communs » existe depuis longtemps à travers les prés communaux ou les coopératives, mais elle est revitalisée par le numérique.

La deuxième forme d’économie collaborative – les relations marchandes distribuées (directement de personne à personne) – s’apparente à une économie du partage. Mais, dans les modèles d’Uber ou d’airbnb, il n’y a pas de commun. Ce sont simplement des personnes qui, par le biais d’une plateforme, sont désormais capables de créer des relations marchandes en remplaçant les intermédiaires habituels par une plateforme privatisée. Et c’est ce que l’on appelle le « capitalisme netarchique », une manière d’aborder le marché par l’exploitation directe de la coopération humaine et de la production de communs par les pairs, sans passer par la rémunération du travail. C’est une forme de travail domestique non reconnu.

Ces pratiques collaboratives ne constituent pas un mouvement périphérique ou marginal. 1/6 du PNB américain est, aujourd’hui, généré par la connaissance partagée, par des ressources partagées qui créent de l’activité économique. La plupart des phénomènes « pair à pair » sont insérés dans le système capitaliste, comme chez Linux, qui est un système d’exploitation libre et ouvert où 75 % des développeurs sont payés par des grandes firmes capitalistes. C’est un commun partageable, qui peut aussi être fait en dehors de ces grandes firmes, mais qui en réalité est inséré dans l’économie capitaliste.

Hyperexploitation des utilisateurs

Le problème aujourd’hui, c’est que le capitalisme netarchique opère une véritable captation de la valeur produite dans les communs. Les entreprises insèrent le commun dans leur système productif pour en extraire de la valeur commerciale. Facebook n’existerait pas sans les interactions de ses utilisateurs, alors que la valeur commerciale de Facebook n’est nullement partagée avec les co-créateurs de cette valeur. C’est de l’hyper-exploitation, du moins au niveau de la valeur marchande. On voit bien que le problème n’est pas nécessairement celui du développement du numérique ou de l’automatisation, mais bien celui de la redistribution de la valeur ainsi créée.

Comment remédier à cette exploitation ? Il faudrait modifier la sphère marchande de manière à essayer de faire en sorte qu’elle serve le commun. C’est tout l’objet du coopérativisme de plateformes, un mouvement qui essaye, dans la sphère marchande, de faire de la plateforme un commun qui permet des relations marchandes véritablement distribuées (c’est-à-dire sans intermédiaire privé qui capte la valeur). L’objectif est d’assurer une juste rétribution et représentation des travailleurs de l’économie collaborative en appliquant le modèle coopératif aux plateformes. Ce modèle permet à chaque utilisateur d’être détenteur de la plateforme et donc d’être partie prenante de la constitution des règles de la plateforme via une gouvernance démocratique et de bénéficier d’une redistribution équitable de la valeur créée.

Des résistances se font jour. Lassés d’être exploités par des plateformes qui dictent leurs conditions et leurs tarifs, des coursiers à vélo parisiens sont en train de créer une coopérative afin de s’assurer une meilleure protection sociale et des conditions de travail décentes. Ce type d’organisation constitue donc une voie de développement alternative pour l’économie collaborative, une forme d’économie post-capitaliste, qui permet de concilier les objectifs de protection des travailleurs et l’innovation sociale. La triade capital/État/nation est remplacée par un système composé des communs, entourés d’un marché éthique, lui-même entouré d’un État partenaire. Une manière de réorganiser les relations marchandes en faveur des communs…

DÉFINITION DES « COMMUNS » | Les « communs » sont des biens partagés (jardins partagés, logiciels libres, design partagés, rivières…) maintenus et défendus par des communautés ­d’individus qui émettent leurs propres normes de régulation. Chaque individu contribue à élaborer et/ou entretenir ces « communs » et en bénéficie.

À NOTER | Michel Bauwens est l’auteur de Sauver le monde – Vers une économie post-capistaliste avec le peer-to-peer, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2015.

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