Pacte vert pour l’Europe et relance : l’impossible équation ?

Gabrielle Heyvaert

Chargée de mission énergie et numérique, Confrontations Europe

L’année 2020 devait être celle du tournant, du virage que l’Union européenne entendait prendre, au nom de la lutte contre le dérèglement climatique. Elle est devenue, en ces temps de pandémie, d’abord celle des reports. Le Pacte vert pour l’Europe n’échappe malheureusement pas à la règle.

« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs », déclarait Jacques Chirac, alors Président de la République, à l’ouverture du quatrième Sommet de la Terre à Johannesburg en 2002. Dix-huit ans plus tard, notre maison brûle avec toujours plus d’intensité et nous sommes face à un nouvel incendie. L’immédiateté de son danger ne fait plus aucun doute : les Etats membres vont devoir faire face à une récession dont la gravité équivaudra à celle de l’après-guerre. Malheureuse coïncidence calendaire, l’année 2020 devait marquer un tournant pour l’Union européenne dans sa transition écologique et, plus spécifiquement, dans sa lutte contre le réchauffement climatique. La présentation du Pacte vert pour l’Europe (« European Green Deal ») paraît déjà lointaine : introduit aux eurodéputés en décembre 2019 par la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, il devait – doit ! – mettre l’Europe sur la voie de la neutralité carbone en tant que « nouvelle stratégie de croissance ».

Or, et l’histoire récente l’a déjà montré, crise économique et crise climatique ne font pas bon ménage. Si la croissance économique telle qu’elle existe aujourd’hui est néfaste pour la planète, la récession l’est tout autant, voire plus. En effet, il a résulté de la crise de 2008 une inaction telle que l’ONU qualifie la période 2009-2019 de « décennie perdue »1, durant laquelle les Etats ont, pour reprendre ses termes, « collectivement échoué » à infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES). De nombreuses voix se sont d’ores et déjà élevées en Europe, craignant de voir le scénario post-crise de 2008 se répéter : cette fois-ci, la relance doit être verte, et les investissements alignés sur les engagements climatiques. Le Pacte vert pourrait-il alors être le fer de lance de ce nouveau modèle de croissance, lui qui, pour reprendre les termes de la Présidente de la Commission européenne, permettra de « réconcilier l’économie avec la planète » ? Sans vouloir préjuger de l’action de la Commission en 2020, il est possible, à ce stade, d’examiner les principaux enjeux en matière de climat et de relance économique.

Une ambition climatique fragilisée

Le Pacte vert pour l’Europe, outre sa fonction de feuille de route stratégique, prévoit de rehausser l’ambition climatique européenne en fixant un nouvel objectif de réduction des émissions de GES à atteindre en 2030. Pour rappel, dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, en sa qualité de partie prenante, l’UE s’était engagée à réduire de 40 % ses émissions à l’échéance 2030 puis à revoir tous les cinq ans cet objectif à la hausse. Dans cette perspective, l’exécutif européen doit proposer, à la suite d’une étude d’impact, un nouvel objectif de réduction de 50 ou 55% d’émissions de GES d’ici à 2030, a priori au troisième trimestre 2020. L’enjeu est de parvenir à un accord des Vingt-Sept avant la prochaine Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 26) qui a été reportée en 2021, pandémie oblige. Si la crise sanitaire a offert aux Vingt-Sept un délai supplémentaire avant la prochaine COP, parviendront-ils seulement à s’entendre ? Bien avant la crise sanitaire, plusieurs d’entre eux avaient fait part de leurs réticences quant à une révision de l’engagement climatique européen : les pays d’Europe de l’Est, mais aussi la Grèce, Chypre, Malte et l’Allemagne. Fin avril, cette dernière n’a toujours pas, à l’instar de l’Irlande, du Luxembourg et de la Roumanie, remis à la Commission son plan national énergie-climat – plan qui détaille la manière dont chaque Etat prévoit de baisser de 40 % ses émissions d’ici à 2030, alors que l’échéance était fixée à janvier 2020. Une autre question demeure aussi en suspens : si les Etats membres parviennent finalement à s’accorder avant la tenue de la COP 26, rien ne laisse à penser que les autres grandes puissances – Chine, Etats-Unis, Russie, Australie, Brésil…- seront enclines à revoir leurs engagements climatiques dans un contexte de récession mondiale.

Le Pacte vert pour relancer la croissance ?

Bien que la prochaine Conférence des Parties soit repoussée en 2021, « le réchauffement climatique , n’a pas disparu » a alerté Ursula von der Leyen à la mi-avril, en soulignant le rôle clef que le Pacte vert pourrait jouer dans la relance, en dépit de plusieurs chantiers très probablement reportés. En parallèle, plusieurs Etats membres, à l’est comme à l’ouest de l’Europe, ont déjà exprimé ouvertement leur hostilité à la poursuite de la mise en œuvre du Pacte vert, soutenant qu’il leur fallait en priorité gérer la crise économique. Sera-t-il alors possible de conjuguer relance, reprise de la croissance et lutte contre le réchauffement climatique ? C’est du moins le postulat d’une tribune lancée à l’initiative de Pascal Canfin, Président de la commission de l’environnement du Parlement européen et cosignée par un vaste ensemble d’acteurs – ministres, députés européens, dirigeants de grandes entreprises, associations d’entreprises représentant une dizaine de secteurs, Confédération européenne des syndicats, ONG – : « Au cours des dix dernières années, de nouvelles technologies ont été développées et les chaînes de valeurs se sont transformées. Le coût de la transition s’est massivement réduit en 2009, après la crise financière, nous n’avions pas encore fait la preuve de la rentabilité de la rénovation thermique des logements, les voitures sans émissions n’étaient que des prototypes, l’énergie éolienne coûtait trois fois plus cher qu’aujourd’hui, le solaire sept fois plus. » 2 La thèse défendue ici n’est pas nouvelle : il s’agit du principe selon lequel les avancées technologiques dont nous disposons aujourd’hui, par rapport à 2008, rendraient possible une relance durable. Selon les signataires de la tribune, le Pacte vert devrait être, à juste titre, le fer de lance d’un nouveau modèle de prospérité, puisqu’il fait précisément le pari d’une croissance soutenable, découplée des énergies fossiles. La transformation des réseaux électriques et des infrastructures de stockage afin de pallier l’intermittence des énergies renouvelables, ou bien la rénovation énergétique des bâtiments pour réduire la consommation d’énergie, nécessitent en effet des investissements massifs et pourraient bénéficier des plans d’investissements futurs. Mais dans ce contexte de grave récession, sera-t-il possible de changer radicalement de sources d’énergies et de mode de consommation pour relancer la croissance à tout prix, sachant qu’elle repose aujourd’hui sur des secteurs carbonés ? En outre, la faiblesse historique du prix du pétrole représente également un frein à ce changement de paradigme. Aussi la transition énergétique ne dépend-elle pas uniquement du progrès technique : elle doit être assortie d’une forte ambition politique de la part des Vingt-Sept. Or, l’impératif climatique ne semble actuellement pas s’articuler avec les plans de relance qui visent, avant tout, à sauver l’économie. Et pour cause : des dizaines de milliers d’emplois seront directement menacés dans l’industrie en l’absence de soutien public, avec pour conséquence une forte hausse de la précarité. Les mesures européennes qui découlent de l’accord de l’Eurogroupe du 9 avril 2020 ne font ainsi pas de distinction entre les entreprises dont l’empreinte carbone est élevée, et celles qui reposent sur des technologies propres. Les conséquences des plans d’investissements orientés vers infrastructures et secteurs carbonés seront pourtant dramatiques à long terme pour l’Europe, car ils l’enfermeront pour des décennies encore dans un modèle de croissance non soutenable.

Le programme de travail révisé de la Commission von der Leyen, qui devrait paraître à la fin du mois d’avril, sera révélateur du nouveau niveau d’ambition du Pacte vert pour l’Europe : permettra-t-il d’entreprendre la transition écologique et énergétique de l’Union européenne, ou nous conduira-t-il vers une surchauffe planétaire d’ici la fin du siècle ?

 

1  A lire , le rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement : « Lessons from a decade of emissions gap assessments », UNEP, Sept 2019, 18 p

2  La tribune a été publiée simultanément le 14 avril 2020 dans Le Monde, La Libre Belgique, il Corriere della Sera (Italie), Pùblico (Portugal), SEM (Slovaquie), Politico, El Diario (Espagne).

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