Union ou désunion énergétique ?

Jean-Pol PONCELET

Ancien ministre (Belgique), directeur général de Foratom

Le « Cadre stratégique pour une Union de l’énergie résiliente, dotée d’une politique clairvoyante en matière de changement climatique » a les apparences d’un opus historique. Lecture faite, l’ambition retombe sensiblement déplore Jean-Pol Poncelet, le directeur général de  Foratom.

Comment ne pas être en phase avec la perspective « d’une économie soutenable, à faibles émissions de carbone, respectueuse du climat et inscrite dans la durée » ? Comment ne pas saisir « l’occasion historique d’aiguiller dans la bonne direction : celle d’une Union de l’énergie » ? Les envolées d’une Europe qui dit vouloir changer le monde côtoient les impuissances d’un système à courte vue paralysé par les petits égoïsmes nationaux. On y cherche en vain l’anticipation extraordinaire, le souffle mobilisateur et l’énergie des pères fondateurs qui avaient, il y a près de soixante ans, écrit une page d’histoire en créant de toutes pièces un marché commun du charbon et de l’atome.
Comment créer cette union énergétique quand, s’agissant de charbon, de pétrole ou de gaz naturel, ainsi que d’atome ou d’énergies renouvelables, les États membres se sont réservé le droit de choisir seuls ? En effet, le Traité de Lisbonne établit que chacun conserve son droit « de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » (article 194, paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). La Commission n’évoque pas cette contradiction.
Une gouvernance faible
Une question cruciale est donc celle de la gouvernance d’un tel processus : les institutions actuelles de l’UE sont-elles en mesure d’infléchir durablement, dans le sens de plus d’intégration, les politiques nationales menées par les États membres en matière d’énergie, ce qui implique davantage d’harmonisation, de régulation commune et de solidarité ? Poser la question c’est évidemment y répondre. Plusieurs États membres ont déjà fait part de leur souhait de conserver des relations privilégiées avec les fournisseurs russes. Cela sonne déjà comme un requiem anticipé au moment où la Commission annonce qu’elle « réexaminera la décision sur les accords intergouvernementaux et proposera des options pour faire en sorte que l’UE s’exprime d’une seule voix dans les négociations avec les pays tiers À l’avenir, il conviendra d’informer la Commission de la négociation d’accords intergouvernementaux à un stade précoce ». On imagine les États membres tremblant de peur sous la menace…
Les paradoxes de la décarbonation
Quant au contenu, il s’agit de décarboner l’économie. En langage clair, il faut dissuader de recourir aux énergies fossiles et privilégier les énergies faiblement carbonées. Or, en Allemagne, l’abandon de l’énergie nucléaire a été compensé par un usage accru du charbon et du lignite. Et les mesures suggérées par la Commission vont accroître mécaniquement le recours au gaz naturel pour compenser l’intermittence des renouvelables. Elles ouvrent également la voie à l’exploitation du gaz de schiste. Tous contribuent à l’effet de serre et donc aux menaces climatiques. Par contre, les mesures de la Commission ignorent l’énergie nucléaire – près de 30 % de l’électricité produite dans l’UE ! –, qui représente actuellement plus de la moitié de son électricité décarbonée… Où donc est la vision ?
Une mémoire européenne sélective
En réalité, la Commission européenne fait la démonstration d’un extraordinaire exercice de mémoire sélective. Une Union de l’énergie – Euratom – existe depuis 1957, dont les dispositions sont toujours en application après 60 ans. Ainsi une Agence commune d’approvisionnement doit approuver tous les contrats négociés pour la fourniture d’uranium : sans son visa, ils seraient caducs. Tous les investissements envisagés par le secteur doivent être notifiés à la Commission selon un schéma précis (art. 41 du Traité Euratom). Et cette dernière publie régulièrement un Programme illustratif nucléaire (PINC) qui nous rappelle le (bon) vieux temps de la planification publique à la sortie de la dernière guerre. Enfin, un système de prêts et de garanties publiques aide les investisseurs à financer leurs projets. L’Europe est ainsi devenue leader mondial de toutes ces technologies grâce à la politique industrielle qui en a découlé.
Imaginons un instant ce que l’on n’a pas fait depuis un demi-siècle : créer et appliquer un tel système pour le gaz naturel ou le pétrole. Une agence européenne unique négociant pour tous les États membres notamment face à Gazprom et aux rodomontades russes –, une coordination de tous les investissements envisagés dans l’UE, leur notification obligatoire à la Commission, etc. C’est ce qu’ont réalisé les pères fondateurs il y a plus d’un demi-siècle. Un urgent devoir de mémoire s’impose aux dirigeants européens s’ils veulent vraiment dépasser leur désunion énergétique.

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