Une stratégie de long terme pour l’Europe

Anne MACEY

Déléguée générale de Confrontations Europe

À un an des prochaines échéances électorales européennes, l’Europe est trop lente, pas assez efficace ni juste. Il est crucial de redéfinir le pourquoi de l’Europe dans le monde tel qu’il va. Cela suppose, et c’est l’axe principal de travail de Confrontations Europe(1) pour l’année à venir, d’éclairer les conditions à réunir pour développer une stratégie de long terme en interne et en externe pour l’Europe dans la compétition mondiale.

Le choix politique offert aux citoyens ne peut être : statu quo ou repli national. C’est seulement quand nous nous confrontons à d’autres grandes régions du monde que nous percevons, nous Européens, ce qui nous unit, nous rend uniques, au-delà de nos diversités. L’Europe a des préférences collectives relativement homogènes par rapport au monde extérieur. Le projet politique européen combinant économie sociale de marché et libertés publiques est inédit, mais cela n’apparaît pas clairement, pas seulement parce que les citoyens ne le perçoivent pas toujours, mais parce que son potentiel ne s’est pas concrétisé pour tous et que nous restons divisés. Dans un monde complexe et en évolution rapide, paradoxalement, c’est la perception de ces menaces et risques stratégiques extérieurs sur nos valeurs communes et nos intérêts stratégiques communs qui peut nous inciter collectivement à être à la hauteur de notre époque, de son urgence, de sa gravité.

Mais comment mobiliser les forces vives et les citoyens de sociétés de plus en plus polarisées quand ces préférences collectives sont loin d’être toujours traduites dans les faits ou même dans les priorités politiques ? Nos chefs d’État et de gouvernement ont souvent utilisé Bruxelles comme bouc-émissaire, plutôt que de vouloir réaliser l’Europe ensemble. Si nous avons inscrit dans les traités l’économie sociale de marché, nous n’avons pas su articuler l’économique et le social, ce dernier étant renvoyé au national. Face aux réfugiés, nous avons laissé les pays situés aux frontières extérieures de l’Europe seuls, quand ils auraient pu attendre un peu de solidarité. Nous avons voulu une Europe ouverte sur le monde et sur les autres, mais n’avons pas su créer les conditions pour que l’Europe définisse un « camp de base dans la mondialisation », un cadre de compétition juste au sein de l’Europe comme avec le reste du monde. Dans ces conditions, l’Europe s’est fondue dans une mondialisation mal-aimée et les ex­trêmes ont beau jeu de l’accuser d’être le cheval de Troie de la mondialisation. Mais derrière de grands discours identitaires de gran­deur na­tionale, les partisans du repli ne peuvent offrir que l’impuissance et la haine de l’autre au sein de nations de­ve­nues trop petites pour peser dans le monde actuel. Saisir les préoccupations et attentes des Européens dans des sociétés de plus en plus polarisées et bousculées par de profondes mutations numérique, écologique, démographique et sociétale, est indispensable pour pouvoir engager la nécessaire transformation de nos modes de vie et, partant, du projet européen. C’est le seul levier d’action pertinent dans la mondialisation, « la seule utopie qui nous reste pour laquelle cela vaut la peine de se battre et de continuer à se battre », rappelait Daniel Cohn-Bendit à une récente conférence sur l’Europe.

C’est pourquoi Confrontations Europe a choisi de centrer son principal axe stratégique pour l’année 2018 autour du développement d’une stratégie de long terme pour l’Europe dans la compétition mondiale, déclinée en deux volets externe et interne. Dans un contexte de montée des nationalismes, extrémismes et autoritarismes, où la mondialisation et le rapport à l’autre sont en question, nous ne pourrons préserver cette ouverture et coopération avec le monde et avec les autres que si l’Europe se dote des moyens de promouvoir et protéger ses valeurs communes et ses intérêts stratégiques au niveau européen.

Le premier volet externe comprend la réponse européenne à apporter aux deux géants que sont les États-Unis de Donald Trump et la Chine de Xi Jinping, notamment en matière de commerce et d’investissements directs étrangers. Entre « America First » et la Route de la Soie chinoise, nous ne sommes pas protégés par les règles multilatérales du libre-échange telles qu’elles sont appliquées. En même temps, une rupture dans les échanges rétrécirait dramatiquement nos horizons et nous plongerait dans une spirale négative. Comment promouvoir un juste échange plus conforme à notre vision du monde, si ce n’est en mettant en œuvre un principe de réciprocité et un contrôle des investissements directs étrangers en Europe ? Si les pays européens demeurent divisés sur le sujet, les lignes sont en train de bouger. Quelles sont les conditions nécessaires pour y parvenir ? C’est cette même préoccupation qui inspire le besoin d’un cadre juste entre entreprises mais aussi à l’égard des citoyens (qu’il s’agisse de la protection des données, de la sécurité alimentaire…) ou de la planète, face aux géants du numérique américain et demain chinois, aux pratiques environnementales, sociales, politiques.

Le deuxième volet, interne, consiste à retrouver cette force qui nous unit pour construire ensemble une stratégie européenne de développement durable de long terme pour l’ensemble de l’Europe. La grande bataille de l’année sera celle du budget et de l’avenir de la cohésion en Europe. Elle passe notamment par la définition des biens communs que nous serions prêts à accepter de partager au sein de la zone euro et en Europe. Dans un contexte où le Brexit ampute un budget européen qui doit aussi faire face à de nouvelles priorités, comment repenser le budget européen, en partant d’abord des politiques communes, dans le cadre de la négociation du cadre financier pluriannuel pour l’Union (2021-2027) ?

La consolidation de la zone euro est indispensable. Les positions encore très éloignées des pays européens se focalisent sur l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux. Mais comment permettre aux économies ­européennes de mieux converger sans capacité budgétaire commune pour investir et mutualiser ? Autre difficulté : renforcer la zone euro ne doit pas se faire au détriment de la cohésion de l’Union, Angela Merkel l’a bien compris. Nous viserons donc à affiner le positionnement de Confrontations Europe sur la proposition de renforcement de l’union économique et monétaire mise sur la table par la Commission européenne. Mais comment avancer dans ces conditions ? Ce sera forcément à travers une Europe différenciée, mais ce ne doit pas être au détriment de l’intégrité de l’Union. Il faut partir de notre cadre à 28. Il y aura des différenciations à l’intérieur, mais probablement pas de noyau dur de fondateurs en accord sur tout. Sur la défense comme sur la taxation du numérique, la France est assez proche des Polonais, sur la politique commerciale, les Pays-Bas sont les plus fermes à l’égard de Donald Trump. Nous pouvons nouer des coopérations renforcées par des politiques ad hoc au cas par cas qui formeront des cercles différenciés qui avanceront. Rien ne sert d’antagoniser ou de stigmatiser, nous devrons avancer avec nos partenaires. Le statu quo ne peut qu’ouvrir la voie aux populistes et extrémistes.

Nous sommes aujourd’hui face à une immense responsabilité. Les Européens veulent-ils que leur destin soit préempté par d’autres grandes régions du monde qui leur imposeront un mode de vie en commun qui ne leur conviendrait pas ? Ou l’Europe veut-elle peser dans le monde et sur son propre destin ? C’est là un choix politique dont les Européens doivent se saisir.

1) À travers son groupe de travail Conjoncture et Prospectives.

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