Une 4ème révolution industrielle pour l’Europe : oui, mais comment ?

Lorène WEBER

Chargée de mission, Finance et Jeunes, Bureau de Bruxelles

Gabrielle HEYVAERT

Chargée de mission, Énergie et Numérique, Bureau de Bruxelles

Le 6 mai dernier, le Collège d’Europe situé à Bruges en Belgique, a reçu les commissaires européennes aux Transports, Violeta Bulc, et à la Concurrence, Margrethe Vestager, dans le cadre d’un “dialogue citoyen” portant sur la 4ème révolution industrielle et ses enjeux pour l’Union européenne. Qu’est-il ressorti de ces débats ?

Deux femmes, un thème, un parterre d’étudiants. Le format se veut résolument moderne, l’échange interactif. Le 6 mai, la Slovène Violeta Bulc, commissaire européenne aux Transports et la très populaire Danoise Margrethe Vestager en charge des questions de concurrence ont échangé durant une heure et demie sur le thème de la 4ème révolution industrielle, un concept développé par l’Allemand Klaus Schwab, fondateur et président du World Economic Forum(1). Si la question de la digitalisation et sa place croissante dans nos sociétés ont été au coeur des discussions entre les deux Commissaires, la façon dont la future Commission souhaite mener à bien cette révolution est demeurée assez floue.

Internet, l’outil de la 4ème révolution industrielle

Internet est au cœur de la révolution industrielle plébiscitée par les Commissaires Bulc et Vestager. Cette dernière a toutefois souligné qu’il ne fallait pas faire preuve de naïveté face à cet “espace commercial” qu’Internet était devenu, et être conscient de l’“hostilité” du Web, notamment envers les femmes qui s’autocensurent plus que les hommes car elles craignent d’être insultées et harcelées online. Dans une volonté dialectique, qui semblait par moments quelque peu superficielle, Violeta Bulc a toutefois rappelé qu’Internet était l’un des outils les plus démocratiques jamais créés, en tant que réseau mondial et formidable créateur de liens. La quatrième révolution industrielle permettra, selon elle, l’avènement de l’ère de la connectivité au service de la communauté mondiale.

“L’humain au centre” comme enjeu de l’intelligence artificielle

Si les deux commissaires ont salué les opportunités et perspectives amenées par l’intelligence artificielle, elles ont cependant mis en garde contre les externalités négatives qui pourraient les accompagner. Margrethe Vestager a notamment souligné le risque de reproduire les inégalités sociales ou de genre à travers l’IA, le risque aussi de devenir “la chair et le sang” de machines et de technologies qui prendraient les décisions à notre place sans que nous les comprenions ou contrôlions. Violeta Bulc a aussi dénoncé le risque de “confiscation” des nouvelles technologies par une poignée de “privilégiés” qui seraient les seuls à la maîtriser.

En réponse aux craintes qu’un grand nombre d’emplois soient perdus car remplacés par des machines, Violeta Bulc a rappelé que cela a été le cas pour les trois révolutions précédentes, mais que de nombreux nouveaux emplois seront également créés grâce à cette 4ème révolution industrielle. Par ailleurs, a-t-elle ajouté : « Les technologies ne doivent pas être débridées ; quel que soit leur degré de sophistication ou de sécurité, les technologies développées, doivent toujours demeurer sous la responsabilité et le contrôle de l’homme ».

Quelle feuille de route pour achever le marché unique numérique ?

Les commissaires s’adressaient à un public averti quant aux difficultés et au manque de compétitivité rencontrés par l’Europe face aux géants américains et chinois. Selon plusieurs participants, la fragmentation du marché européen ne permettrait pas l’achèvement d’un marché unique numérique. A titre d’exemple, pour opérer dans l’ensemble de l’UE, une entreprise a besoin d’une licence de droits d’auteur dans les 28 Etats membres, ce qui ne la rend pas compétitive en face des Etats-Unis ou de la Chine qui disposent, eux, d’un marché unifié. Par ailleurs, certains participants ont soulevé que les contraintes du Règlement général sur la protection des données (RGPD) poussaient les entreprises à s’installer en dehors de l’UE, ce à quoi la commissaire Vestager a répondu que l’UE avait un rôle de précurseur en matière de protection des données, et que la taille du marché européen (500 millions de personnes) permettrait le développement de services en la matière, et serait donc bénéfique.

Les deux commissaires européennes ont eu un échange interactif avec les étudiants du Collège de Bruges fondé sur des mots-clefs.

Violeta Bulc s’est par ailleurs félicitée de la déclaration conjointe UE-Chine signée en avril dernier, qui réaffirme leurs objectifs communs en faveur du multilatéralisme. Elle n’a toutefois pas fait référence au document de « perspective stratégique » publiée par la Commission, qui marque pourtant un net tournant dans la posture de l’Union vis-à-vis de la Chine en la qualifiant certes de « partenaire » mais surtout de « rivale systémique ». La Commissaire n’a pas non plus évoqué le contexte tendu existant entre certains Etats membres sur la position à adopter envers la Chine, qui, par sa politique des « nouvelles routes de la soie », tend à contrôler de plus en plus d’infrastructures stratégiques européennes.

En dépit de cet optimisme, peut-être un peu forcé, les deux commissaires ont cependant reconnu les difficultés rencontrées par les entreprises européennes en termes de constitution de capital et de financement. Margrethe Vestager a également déploré le manque de visibilité des entreprises européennes du numérique existantes, et a exhorté le public à être “curieux” et à aller chercher et tester les produits numériques européens. Le manque de confiance des Etats européens à abandonner leur législation en la matière explique l’absence d’un marché unique numérique en Europe, qui consisterait en une législation européenne unique applicable dans l’ensemble des Etats membres, au lieu des 28 législations nationales actuelles.

Enfin, la commissaire Vestager a justifié l’interdiction de la fusion Alstom-Siemens par la Commission européenne, en mettant en avant que cette fusion présentait le double risque de stopper l’innovation et d’augmenter les prix. Elle a rappelé que, sur l’ensemble des demandes de fusions notifiées à la Commission, celle-ci en avait accepté 3000 et refusé 9 seulement. Selon Vestager, “un champion européen l’est s’il est confronté à la concurrence”.

Si ce dialogue a donné lieu à une analyse globale des enjeux inhérents à la quatrième révolution industrielle, les deux commissaires ont toutefois paru faire preuve d’un peu trop d’enthousiasme sur la compétitivité que l’UE parviendrait à atteindre face à la Chine et aux Etats-Unis. De plus, elles n’ont présenté ni feuille de route, ni lignes directrices, concernant le marché unique numérique européen, qui devrait s’achever lors de la prochaine mandature de la Commission.

Klaus Schwab a développé ce concept dans son ouvrage intitulé la Quatrième Révolution industrielle paru en 2016 et publié en français aux éditions Dunod en 2017.

This article is also available in English on the website : https://www.thenewfederalist.eu/a-fourth-industrial-revolution-for-europe-yes-but-how

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