Un nouveau souffle pour l’énergie

Confrontations Europe

Confrontations Europe approuve sans réserve la volonté d’engager l’Union européenne dans la transition énergétique, grâce au Paquet « Énergie propre pour tous les citoyens » qui se définit par un moindre recours aux sources émettrices de gaz à effet de serre et moins d’énergie consommée pour un service rendu comparable.

1 000 pages de propositions. Plus de 3 000 pages d’études. Le Paquet « Énergie Propre pour tous les Européens », que la Commission a présenté fin novembre 2016 et sur lequel les États et le Parlement européen travaillent, arrive à un moment clé pour adapter le secteur électrique aux nouveaux enjeux. Fondant son analyse sur une série de séminaires organisés à Bruxelles et à Paris avec des intervenants du secteur privé et des administrations publiques nationales et européenne, Confrontations Europe propose quelques pistes afin de donner une véritable impulsion à cette nouvelle donne et au si nécessaire salut de la planète.

L’ampleur des investissements et emplois concernés appelle une réappropriation citoyenne

Les options retenues par la Commission européenne dans le Paquet Énergie Propre reposent sur des simulations menées à l’aide d’outils qui ressemblent à bien des égards à des boîtes noires, car leurs hypothèses et leurs équations demeurent largement inaccessibles, tandis que leurs résultats n’abordent guère les effets macro-économiques possibles et les conséquences sur l’emploi. Alors que des centaines de milliers d’emplois seront touchés, des centaines de milliards d’euros engagés, la technicité des sujets décourage le grand public ainsi que les parlementaires et limite finalement les discussions à un petit nombre d’experts alors même que la portée politique des propositions est lourde de sens. Or, réussir la transition énergétique appelle une mobilisation de tous les acteurs. Les citoyens doivent être en mesure de se réapproprier les enjeux.

La cohérence entre les options adoptées nécessite une attention particulière

Les études d’impact diffusées par la Commission soulignent les interactions entre les objectifs. Ainsi, les dispositions concernant les émissions de gaz à effet de serre récemment adoptées en dehors du Paquet aboutiront à un bas prix du CO2 pour les gros émetteurs jusqu’en 2030. Le marché ne délivrera donc pas un prix incitatif. De ce fait, une légère majoration de l’objectif pour l’efficacité énergétique augmentera considérablement les besoins en aides publiques, favorisera le maintien d’une production énergétique à base de charbon, a priori peu compatible avec les objectifs relatifs au climat pour 2030, et réduira la rentabilité des réseaux de chaleur.

Par ailleurs, l’adaptation des réseaux électriques, qui se heurtent souvent à des difficultés d’acceptabilité locale, la valorisation de nouveaux gisements de flexibilités et l’incitation à des solutions innovantes sont trois facteurs qui mériteraient d’être mieux pris en considération pour atteindre les objectifs de production électrique d’origine renouvelable tout en maintenant un haut niveau de sécurité d’approvisionnement. Les objectifs concernant l’efficacité énergétique, les interconnexions et les énergies renouvelables sont discutés par des groupes de travail séparés au Conseil et par des Commissions distinctes au Parlement. D’où un risque de décisions justifiées isolément mais fragilisant la cohérence d’ensemble.

Il convient de prendre en compte la diversité des situations

Le mix énergétique de chaque État membre résulte de ses ressources, de son histoire industrielle et géopolitique. Pour certains, les efforts à accomplir pour parvenir à un haut niveau d’énergies renouvelables, améliorer l’efficacité énergétique, diminuer fortement les émissions de CO2… sont difficilement compatibles avec l’objectif de convergence économique au sein de l’Union européenne.

Une transition « juste » doit s’efforcer de compenser les effets redistributifs pesant fortement sur des pays moins avancés. Progresser dans le marché de l’énergie doit aller de pair avec la prise en compte de la diversité des situations dans les pays de l’Union et doit conduire à privilégier l’objectif d’un mix faisant de la faiblesse d’émission de CO2 la priorité dans le respect de la subsidiarité.

Un cadre de contrôle rigide est inadapté aux évolutions en cours

Il faudrait rechercher une méthode ouverte de coopération avec les États, les acteurs industriels, les territoires, plutôt qu’un monitoring administratif des écarts par la Commission fondée sur des décisions imposant du haut une convergence « one size fits all ». Le risque étant de conduire à un cadre institutionnel aussi flou qu’inefficace. Il s’agit de privilégier les incitations plutôt que les sanctions, de renforcer le dialogue pour identifier quelles sont les marges de manœuvre possibles au cas par cas, valoriser les initiatives et encourager les solutions innovantes tout en maintenant un haut niveau de qualité d’alimentation électrique des territoires au meilleur coût.

Le changement viendra des industries et des territoires s’ils sont intégrés dans la boucle. Chacun doit pouvoir s’y retrouver sans voir son développement économique et social amputé. Dans le respect de certaines conditions : un recul du charbon, mais qui n’élimine pas la modernisation du secteur ; le nucléaire, mais avec des garanties de sécurité élevées, reposant notamment sur une coopération renforcée entre les États recourant à cette énergie ; le développement des énergies renouvelables, mais au sein d’un système électrique, avec des marchés et des réseaux adaptés à la nouvelle donne.

La sécurité d’approvisionnement demeure un « bien commun », dont la puissance publique est le garant au niveau le plus adapté, dans le respect de la subsidiarité

Le Paquet Énergie préconise de transférer certaines responsabilités opérationnelles dans la gestion des réseaux vers des entités supranationales. En parallèle, une partie du rôle des autorités nationales sera transféré à l’Agence européenne de Coopération des régulateurs de l’Énergie (ACER). Mais les possibilités d’intervention des États dans le domaine de la sécurité d’approvisionnement seront réduites au profit d’une logique accordant plus de place au prix du marché de court terme. Le tout dans un contexte où les États membres restent largement responsables de la sécurité d’approvisionnement vis-à-vis de leurs citoyens.

Confrontations Europe affiche une profonde réserve vis-à-vis de ces propositions. Les exigences en matière de sécurité d’approvisionnement vont se renforcer au fur et à mesure que l’usage de l’électricité va s’étendre. Il faudrait considérer la sécurité d’approvisionnement comme un « bien commun » dont les pouvoirs publics peuvent rendre compte à tout moment devant les citoyens. À relativement court terme, le marché peut, pour partie, assurer cette sécurité, à une échelle régionale ou supranationale. Cependant, à plus long terme et dans un monde désormais plus incertain, il convient d’en comprendre les mécanismes et d’en adapter les règles afin de préserver les incitations aux investissements de production ou d’effacement de consommation indispensables à la continuité de l’alimentation électrique à un horizon pluriannuel. Les « mécanismes de capacité » dès lors qu’ils sont compatibles avec les règles européennes de la concurrence et les objectifs énergie – climat de l’Union européenne doivent garantir cette sécurité.

Il est indispensable d’anticiper et accompagner les restructurations à venir

Les projections disponibles montrent que le Paquet Énergie s’inscrit dans une transformation profonde du secteur de l’énergie en Europe, avec des conséquences économiques et sociales majeures. Une politique industrielle européenne est nécessaire pour permettre à l’UE d’innover selon les filières, de valoriser les flexibilités et les solutions innovantes telles que le stockage d’électricité, et d’assurer la maîtrise stratégique qu’appellent les objectifs ambitieux du Paquet.

Le Paquet s’accompagne également de la promesse de nombreux emplois. Or les exemples passés montrent que des objectifs élevés dans des délais brefs incitent les opérateurs à recourir largement aux produits importés : panneaux photovoltaïques, bois destiné à la combustion, biocarburants… En outre, selon les estimations actuelles, le Paquet Énergie amènera à fermer avant 2030 plus de 25 % des centrales conventionnelles de production électrique (charbon, gaz, nucléaire). Un plan de transformation sociale de grande envergure est nécessaire pour favoriser les reconversions des salariés.

Des mesures spécifiques en faveur de certains territoires atténueront les écarts

Les simulations indiquent que les pays d’Europe centrale et orientale ne bénéficieront guère des investissements en faveur des énergies renouvelables, du fait notamment d’un accès au capital plus difficile qu’à l’Ouest. Un fonds de garantie, une ligne dédiée dans le cadre du Plan Juncker, pourrait réduire l’écart et permettre une répartition équilibrée des nouveaux ouvrages.

Les effets redistributifs méritent d’être corrigés

Les propositions de la Commission en faveur de l’autoconsommation électrique bénéficieront aux habitants de régions détenant les ressources naturelles idoines, des logements propices à un équipement individuel, ou disposant d’une capacité d’épargne. Ce paquet semble faire l’impasse sur les besoins de solidarité de mutualisation entre territoires au sein et entre États membres : l’énergie est un bien particulier qui ne peut être régulé uniquement par le marché. Par ailleurs les communautés locales de l’énergie ne pourront pas vivre en autarcie sans se soucier des autres : elles resteront raccordées aux réseaux. Il convient que les coûts soient équitablement répartis entre tous les consommateurs.

Le nécessaire passage à une énergie plus verte ne peut faire oublier les enjeux sociaux en Europe.

Les recommandations de Confrontations Europe

Recommandation 1

Clarifier les hypothèses et enchaînements macroéconomiques et les mettre dans le débat public européen pour permettre au plus grand nombre de comprendre les choix.

Recommandation 2

Préserver un cadre cohérent :
– Exposer de manière exhaustive les conséquences des diverses options envisagées, et notamment celles des objectifs prévus pour 2030. En dégager les facteurs clés de succès et veiller à la cohérence d’ensemble des instruments de politique énergie-climat.
– Créer les conditions pour que les signaux prix soient favorables à l’investissement et réinternalisent les externalités négatives, et en particulier réformer le marché du carbone (ETS) de façon qu’il envoie un signal efficace d’utilisation des centrales électriques les moins émettrices et d’investissement dans les filières décarbonées.
– Veiller à la cohérence des instruments proposés pour le développement des énergies renouvelables, l’adaptation des réseaux électriques en facilitant leur acceptabilité locale et la valorisation de nouveaux gisements de flexibilité et de l’innovation.

Recommandation 3

Viser un mix décarboné et dans le même temps mettre en place une démarche en faveur d’un développement économique et social en autorisant des productions diversifiées à l’échelle locale sous condition d’une cohérence à l’échelle communautaire.

Recommandation 4

Renforcer les incitations plutôt que les sanctions.

Recommandation 5

Assortir le transfert de prérogatives de trois conditions :
– Vérifier que de nouvelles dispositions assurent un service rendu aux usagers au moins équivalent à l’existant et dans des conditions économiques améliorées.
– Privilégier la subsidiarité et les ini­tiatives volontaires, notamment en matière de responsabilités opéra­tionnelles, dans un contexte où les États membres restent largement responsables de la sécurité d’approvisionnement vis-à-vis de leurs citoyens.
– Lorsqu’une convergence européenne est justifiée, doter les organes communautaires de nouvelles prérogatives d’une gou­vernance assurant transparence et fonctionnement démocratique pour pouvoir assumer la responsabilité ­politique vis-à-vis des citoyens. Ou faire le choix de renforcer les prérogatives ­existantes.

Recommandation 6

Muscler les accompagnements industriel et social :
– Concevoir une politique industrielle européenne pour que la production et les emplois promis se situent bien en Europe et ne soient pas tous concentrés dans les pays européens les mieux lotis.
– S’appuyer sur la compétitivité de l’industrie et l’innovation pour réaliser une véritable Union de l’Énergie.
– Prévoir un plan de reconversion pour l’ensemble des travailleurs des filières de l’énergie impactées.

Recommandation 7

Créer les conditions pour que les pays d’Europe centrale et orientale puissent eux aussi bénéficier d’investissements dans les énergies renouvelables : prévoir l’assistance technique et l’accès aux financements (fonds de garantie, ligne au sein du Plan Juncker…) pour réduire les divergences.

Recommandation 8

Laisser la possibilité aux autorités nationales ou locales de prendre toute disposition pour protéger les consommateurs défavorisés et assurer un juste partage des coûts.

CONFRONTATIONS EUROPE EN SÉMINAIRES

Confrontations Europe a, tout au long de l’année 2017, réuni différentes personnalités de la Commission européenne, du Parlement européen, des acteurs du monde économique et social ainsi que des chercheurs dans des séminaires à Paris et à Bruxelles afin de nourrir et de faire avancer le débat autour des questions d’énergie.

En février le think tank a organisé une réunion sur l’évolution des réseaux électriques dans la transition énergétique. La problématique de l’efficacité énergétique dans le bâtiment a été débattue, au mois de mars à Paris.

En juin, Confrontations Europe a choisi de revenir sur le marché du carbone en décryptant la production décarbonée et le système d’échange de quotas d’émissions (ETS).

À l’automne, les analyses ont porté sur la décentralisation des systèmes électriques et la gouvernance autour du Paquet Énergie Propre a été le thème du dernier séminaire de l’année.

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