Sortir la zone euro du marasme en brisant les dogmes

Michel AGLIETTA

Professeur à l’Université Paris Ouest, Conseiller scientifique du CEPII, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques

La priorité de politique économique actuelle pour l’Europe est assurément de sortir la zone euro du marasme et d’écarter le risque de stagnation séculaire, avec une croissance durablement faible. Après la crise de 2008, les Etats Unis sont parvenus à revenir sur leur niveau de croissance grâce à l’amélioration de la productivité globale des facteurs. La situation est très différente dans la zone euro du fait de la faiblesse de la reprise et surtout des divergences entre pays. Les perspectives de croissance potentielle dans la zone restent de l’ordre de 1,5 à 2%, avec de fortes disparités de productivité globale des facteurs.
Les divergences en Europe ne tiennent pas à des problèmes d’ajustement budgétaire. Elles sont liées à des différences de fond dans les dynamiques de productivité, et se traduisent par la polarisation entre pays créanciers et débiteurs. Depuis le début de la crise, l’énorme excès d’épargne est principalement capté par l’Allemagne. L’ajustement au sein de la zone euro se porte alors sur les pays débiteurs, est asymétrique et forcément déflationniste.
Aujourd’hui, les taux de marché sont inférieurs au taux naturel, et ne peuvent faire repartir l’investissement. On voit là une limite de la politique monétaire actuelle. Ce processus est ce que l’on appelle un « piège de basse croissance » ou « stagnation séculaire ». La spécificité européenne est qu’il a été délibérément enclenché par les politiques simultanées d’austérité de 2011-2013 qui ont entrainé un choc durable sur la demande, avec répercussion sur l’investissement matériel et immatériel, dans un processus cumulatif d’amplification des déséquilibres réels. Ce processus perdure.
Une seule issue pour sortir de cette situation : modifier les principes européens érigés en dogmes  – à savoir pas de budget fédéral, pas de transferts entre Etats, pas de politique de stabilisation contre des chocs asymétriques, pas de défaut de paiement dans la zone monétaire.
Pour se faire, un niveau de puissance publique européenne pour mettre en œuvre une gouvernance dynamique et conserver la zone euro est nécessaire. La solution passe par « une souveraineté enchevêtrée » avec un niveau de souveraineté nationale forte et un niveau de souveraineté partagée européenne. Ce partage doit se faire sur la base d’un projet politique de croissance soutenable, dont la trame est la transition écologique et la nouvelle révolution industrielle.
Pour avancer dans ce sens, on ne peut marcher sur la seule jambe monétaire. Il reste à créer les instruments de l’intérêt européen au niveau des politiques budgétaires. La réforme à faire passe par l’accroissement des compétences du Parlement européen, qui doit devenir un Parlement de plein exercice, ayant la capacité de voter le budget, de lever l’impôt et d’émettre la dette. Pour être un catalyseur en matière d’investissement, le budget européen doit passer de 1% à 3 %.
Il manque aujourd’hui une politique budgétaire agrégée. La première phase serait l’analyse du contexte économique européen, un projet de budget intégré de la zone euro, et l’évaluation de l’effort budgétaire agrégé. La répartition par pays de cet effort agrégé  se ferait  ensuite selon une règle existante mais violée en permanence : aucun pays  ne doit avoir plus de 5 % d’excédent.
Il faut aussi transformer le système financier pour dépasser les comportements court-termistes et faciliter le financement de l’investissement à long terme, en mettant en réseau les banques publiques d’investissement avec un système de garantie du budget européen.
Il faut enfin traiter les chocs venant du monde extérieur. Les chocs symétriques sont gérés par la BCE. Pour les chocs asymétriques concernant certains pays, mettre en place un fonds de stabilisation apportant un soutien proportionnel au choc spécifique est une idée intéressante.

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