Quelle défense pour l’Europe ?

Général (2s) Jacques Favin LÉVÊQUE

Membre du Bureau d’EuroDéfense France

Alors que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne et que Donald Trump semble prêt à remettre en cause
la pérennité de l’alliance entre Européens et Américains, les États membres doivent s’interroger sur leur politique
de défense commune, dans un contexte international marqué par l’instabilité.

Alors que l’Union européenne a du mal à se remettre de l’ouragan Brexit, la pérennité du lien transatlantique qui, tout au moins aux yeux des Européens, constitue la colonne vertébrale de leur défense collective, semble menacée pour la première fois depuis 1949. Il est clair que l’édifice européen construit laborieusement, pierre par pierre depuis les années 1950, traverse une crise dont la nature et la dimension sont existentielles et dans laquelle s’invite un sujet tellement oublié qu’il paraît « ringard » : celui de sa défense collective face aux menaces qui pèsent sur son propre territoire.
Cet édifice, c’est d’abord une Europe fragilisée par une interrogation profonde sur sa finalité et sur son périmètre géographique. C’est aussi une Union déstabilisée par une crise migratoire dont les dirigeants ne maîtrisent ni l’ampleur à venir, ni les profondes conséquences sociales, culturelles et religieuses et qui a fait apparaître, outre le clivage nord-sud engendré par la crise mondiale de 2008, des divisions politiques et idéologiques entre l’est et l’ouest. C’est un continent miné par le terrorisme et par le retour du spectre de la guerre après plus d’un demi-siècle de paix, un continent qui avait misé depuis plusieurs décennies sur une prospérité économique soudain remise en cause par l’absence de croissance, par un chômage endémique et une dette publique démesurée.
Ajoutons à cette convergence de facteurs déstabilisants les agissements d’une Russie en pleine renaissance qui se manifeste dangereusement aux frontières de l’Union et qui poursuit au Moyen-Orient une politique musclée, sans lien avec celle des pays européens et d’États-Unis engagés dans la lutte contre l’État Islamique.
Autre sujet d’inquiétude : la sortie de la Grande-Bretagne, partenaire majeur dans le domaine de la défense, qui avec une duplicité et une habilité qui ne sont pas pour nous surprendre, a l’espoir de garder un pied dedans après avoir maintenu un pied dehors pendant plus de 40 ans…
À vrai dire, il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences du choc que la sortie de la Grande-Bretagne va provoquer sur l’avenir de la construction européenne, mais il est relativement aisé d’appréhender les conséquences du Brexit en matière de défense.
Contrairement à l’idée que l’on en a, la Grande-Bretagne, seule puissance nucléaire européenne avec la France, et dont l’effort de défense dépasse très sensiblement celui des États membres de l’UE les plus motivés, est beaucoup plus impliquée dans une défense de l’Europe dans le cadre de l’OTAN que dans celui de l’UE. Nos alliés d’Outre-Manche se sont toujours opposés à la création de structures de défense communautaires au niveau de l’UE, estimant que seule l’Alliance atlantique et son bras armé de l’OTAN devaient assumer la défense collective des pays européens. La Grande-Bretagne s’est de fait longtemps opposée à la création d’un État-major d’opérations européen permanent et a toujours refusé de financer décemment l’Agence européenne de Défense (1).
En enclenchant le Brexit, Theresa May a affirmé solennellement que « la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne, mais pas l’Europe » et on peut penser, sans grand risque d’être démenti à l’avenir, que cette même Theresa May n’hésiterait pas à intervenir militairement au profit du « continent » dans le cadre du traité de défense franco-britannique de Lancaster House qui reste en vigueur, ou, plus vraisemblablement, dans le cadre de l’OTAN.
Encore faut-il que cet OTAN résiste aux attaques du Président Trump qui, dans l’exaltation d’une campagne électorale débridée, l’a taxée d’obsolescence, menaçant même de renier le fameux article 5 du Traité de Washington, garantie suprême de la solidarité entre membres de l’Alliance, si les Européens persistaient à ne pas participer significativement à l’effort commun de défense. Certes il faut relativiser la portée de ces déclarations et les propos de Donald Trump ont été fortement tempérés par les hauts responsables américains, notamment lors de la rencontre de Munich de février dernier. Il semble exclu de voir les États-Unis quitter l’Alliance – ils y ont beaucoup trop d’intérêts politiques, stratégiques et économiques. En revanche la menace qu’ils font peser sur la ferveur de leur engagement incitera vraisemblablement leurs partenaires européens à augmenter sensiblement leur effort de défense, voire à susciter des initiatives au sein d’une défense européenne autonome. L’attitude du Président Trump, soufflant alternativement le chaud et le froid, n’est-elle qu’une simple gesticulation médiatique ou est-ce le fait d’un stratège aussi redoutable que son homologue russe ? Il reste difficile de se prononcer sur ce point…
Un tel contexte désoriente l’Union Européenne qui peine à construire une stratégie à même de faire face aux bouleversements du contexte international.
En toute logique l’Union européenne devrait établir un équilibre avec chacun des acteurs géopolitiques de l’échiquier mondial, notamment avec les États-Unis en dépit des incertitudes présentes et de la réorientation stra¬tégique vers l’Asie déjà engagée par le Président Obama. Mais aussi avec la Chine et avec l’Inde, deux acteurs géopolitiques majeurs du xxie siècle, sans omettre le continent africain et son milliard d’habitants, mais aussi la Fédération de Russie qui fait partie du continent européen. Se rapprocher de la Russie ne serait pas pour autant le signe d’un renversement des alliances. L’autonomie stratégique de l’Union européenne serait simplement significative d’une volonté de maîtriser son destin et de défendre ses intérêts avec réalisme dans un monde multipolaire.

« La Coopération structurée permanente »
Beaucoup de voies sont possibles pour répondre aux défis que l’Union européenne doit relever pour sa défense. L’option dite des « cercles concentriques » semble la plus réaliste.
Le premier cercle étant celui des 27 États membres, unis dans une zone de libre-échange économique, sous la protection d’une solide agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières, le deuxième cercle, celui des 19 pays de la zone euro, aurait vocation à pousser ¬l’intégration dans les domaines régaliens et à constituer à moyen terme une confédération européenne.
Le troisième cercle, celui de la Défense commune, réunirait dans une Structure Permanente de Coopération les pays de la zone euro qui souhaitent et peuvent aller plus vite et plus loin dans l’intégration de leurs forces armées et de leur industrie de défense. Cette « Coopération Structurée Permanente », prévue au traité de Lisbonne et encore inutilisée, s’appuierait sur la lettre conjointe des ministres de la Défense français et allemand du 11 septembre 2016, véritable appel à la convergence et à l’optimalisation des efforts de défense des pays membres et pourrait réunir au moins les six pays déjà engagés dans l’Eurocorps, se construisant ainsi de façon pragmatique. L’élection en France d’un Président acquis à la cause européenne laisse penser que cet appel ne restera pas sans réponse…
La Défense, pilier déficient, voire inexistant, d’une Union européenne marquée depuis plus d’un demi-siècle par la culture de la dépendance vis-à-vis des États-Unis, deviendrait alors la première illustration de l’Europe « différenciée » évoquée au sommet restreint de Versailles !

1) L’AED, basée à Bruxelles, a été créée en 2004 afin de soutenir les efforts de défense de l’Union européenne.

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