Quatrième Paquet Ferroviaire : l’Europe est-elle sur les bons rails ?

Carole ULMER et Mathieu MOREAU

Confrontations Europe

Parmi les participants : Marc Ivaldi : Chercheur, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Toulouse. Antoine Rothey : Conseiller sénior, représentation permanente à Bruxelles, SNCF. Ana Malheiro (EIM) : Chef Régulation et Affaires Juridiques, European Rail Infrastructure Managers. Alexander Vogt : Conseiller du député Boguslaw Liberadzki, rapporteur fictif sur « ouverture du marché et attribution des contrats de service public ».
Vingt ans après la création du Marché unique, l’espace européen de transport ferroviaire de personnes et de biens n’est pas encore construit. La part modale du rail par rapport à la route demeure toujours aussi maigre (environ 10% dans le fret et 6% dans le transport passager). Différences technologiques, barrières réglementaires, manque d’investissements, débat sur la façon de gérer l’infrastructure sont parmi les freins majeurs cités comme « obstacle à la création d’un espace unique européen » du rail, souhaité par le Commissaire Siim Kallas. C’est pourquoi la Commission européenne a adopté le 30 Janvier 2013 le quatrième paquet ferroviaire. Elle choisit la concurrence : la libéralisation du transport ferroviaire de passagers, le découplage entre les gestionnaires d’infrastructures et les opérateurs de services ferroviaires et la mise en place de normes de sécurité et d’interopérabilité.
Premier pan de cette réforme : une mise en concurrence généralisée sur les transports passagers. Malgré quelques gains notables des précédents paquets (contestabilité des marchés, gains d’efficacité…), force est de constater que, dans l’ensemble, l’ouverture à la concurrence du transport voyageur est en effet restée timide. Mais face à ce constat, la Commission persiste dans sa logique classique : seule une concurrence accrue pourra permettre une diminution des prix et un report modal vers le rail. Les expériences de libéralisation britannique et suédoise seraient, à ce titre, exemplaires, selon elle. Est-ce vraiment le cas ? Quels liens entre libéralisation et augmentation de la part modale des investissements, et baisse des prix ? La question, in fine n’est-elle pas, en premier lieu de chercher à savoir quelles formes de concurrence concourent à un développement durable dans le ferroviaire, comme le souligne l’économiste Marc Ivaldi ? Concurrence pour le marché (concurrence pour obtenir l’exploitation d’une concession sur un territoire donné) ou concurrence sur le marché (concurrence de plusieurs services sur le même parcours)? Ces interrogations reposent la question de la finalité des réformes, à savoir un service de transport de qualité et compétitif pour les citoyens et les entreprises. En lien avec la révision du règlement relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route prévue également par le quatrième paquet, c’est toute la problématique complexe de la combinaison entre accès libre au marché et contrats de service public qui est posée. Ne risque-t-on pas de voir émerger du « cherry picking » sur les lignes les plus rentables, au détriment des autres lignes ? Quid de l’obligation faite aux collectivités de notifier à la Commission les compensations versées au titre de ces services, au même titre que les aides d’état ?
Second pan de la réforme, la Commission fait du dégroupage (un-bundling) entre les gestionnaires d’infrastructures et les entreprises ferroviaires une condition sine qua non de cette concurrence. La Commission européenne soupçonne certains opérateurs ferroviaires « intégrés » (en holding) d’utiliser leurs structures comme des armes anti-concurrentielles. Par conséquent, le 4ème Paquet ferroviaire propose de renforcer la position des gestionnaires d’infrastructures et de séparer les deux entités, au moins par l’intermédiaire de « murailles de Chine ». Quelles améliorations en terme de concurrence peut-on observer dans les différents pays ayant déjà instauré une séparation institutionnelle ? A contrario, quelles vertus des systèmes intégrés sont mises en avant par leurs défenseurs ? Comment alors améliorer la régulation de tels systèmes ?
Enfin, un troisième axe de réflexion porte sur la nécessaire amélioration des normes et des autorisations du secteur, actuellement véritables freins à la compétitivité. A l’heure actuelle, il persiste encore 20 systèmes de signalisations différents et des régimes de licences nationales, un casse-tête pour les opérateurs européens. Le 4ème Paquet ferroviaire envisage de rendre possible la certification en une seule opération des trains circulant dans toute l’Europe. Les entreprises devraient ainsi pouvoir mener leurs activités dans l’ensemble de l’Union avec un certificat de sécurité unique. À cette fin, l’Agence ferroviaire européenne, l’AFE (à Valenciennes) jouera un rôle central dans la promotion de l’interopérabilité. Quelles sont conséquences d’une telle avancée et comment en mesurer les gains? La proposition de centraliser la délivrance des certificats de sécurité des entreprises ferroviaires est intéressante : comment s’assurer qu’elle n’affaiblira pas le niveau de sécurité, si l’on supprime les contrôles nationaux sur le terrain ? Comment coordonner les niveaux ?

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