Prolongation du Plan Juncker : quelle analyse ?

Carole ULMER

Directrice des études, Confrontations Europe

Replacer l’investissement de long terme au cœur de l’agenda communautaire et relever le niveau du potentiel de croissance européen furent les deux objectifs affichés par le Plan Juncker lors de son lancement. 18 mois après, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) a permis de mobiliser 138,3 Mrd EUR de nouveaux investissements dans 27 États membres. Confrontations Europe a tiré des enseignements de cette première phase lors de ses Assises de long terme de juin 2016 et a formulé des propositions pour « franchir un cap », préparer la suite et mieux ajuster le Plan pour répondre aux critiques émises.
Le 14 septembre 2016, la Commission a proposé une prolongation de l’EFSI prévoyant un accroissement de sa force de frappe avec un objectif de 500 milliards d’€ d’ici à 2020 (et une recommandation de 630 milliards d’ici à 2022). Le Conseil Ecofin vient tout juste d’avaliser cette démarche. La philosophie derrière cette proposition n’est pas une « réinvention du Plan Juncker » selon la Banque européenne d’investissement (BEI) – convaincue en effet de la bonne marche globale du Plan et de sa nécessité économique. Elle vise toutefois à « apporter des précisions » et des « réorientations substantielles » sur divers points critiques importants que Confrontations Europe – parmi d’autres acteurs – avait formulés.
Le premier d’entre eux concerne la question sensible de l’additionnalité. Diverses études récentes (Cour des Comptes européenne, Bruegel, EY) remettent en cause ce principe.  Est-ce que les investissements élus pour bénéficier de garanties publiques n’auraient pas eu lieu de toute façon ? Les projets financés sont-ils réellement plus risqués que ceux financés jusqu’alors par la BEI ? Plus globalement, une première analyse des investissements souligne une insuffisance de projets répondant aux besoins des nouvelles générations et liés au changement climatique, et ceux liés à l’innovation industrielle et digitale, et tout particulièrement en capital humain. Quels liens sont établis entre les choix des projets et les priorités stratégiques pour l’Union européenne, notamment déclinées au niveau des Directions générales de la Commission ? Quelles méthodes sont appliquées pour l’éligibilité des projets? De surcroît, le principe est demand-driven et la procédure d’éligibilité est totalement intégrée à la BEI, laissant la puissance publique en retrait. Le Plan a notamment été décrié pour avoir financé une autoroute en Allemagne…alors que le financement de la formation professionnelle notamment semble toujours un point problématique – y compris dans la nouvelle phase du Plan. L’investissement à long terme est un choix de société, la nouvelle phase du Plan entend clarifier les responsabilités et le besoin de nouvelles conditions démocratiques et institutionnelles pour avancer en exigeant plus de transparence au Comité d’investissement qui devra donner une justification publique de son choix positif sur chaque projet. L’accent sera mis sur les investissements d’avenir ; de nouveaux secteurs seront intégrés –tels que la défense et la sécurité et un objectif non contraignant de 40% de projets devant s’inscrire dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique sera fixé. Il n’en reste pas moins que l’investissement dans le capital humain demeure un angle mort du Plan, – y compris dans sa nouvelle mouture.
La distribution géographique des fonds – notamment en ce qui concerne les infrastructures – a été pointée du doigt. Dans de nombreux cas, les projets manquent souvent d’argent public (subventions, fonds structurels…) pour être viables. Dans sa proposition de septembre 2016, la BEI affiche sa volonté de procéder à un rééquilibrage géographique notamment par le biais du renforcement de  son réseau d’assistance technique dans les pays de la cohésion. Des réflexions sont en cours sur les instruments financiers utilisés. Si on devait aller vers plus d’equity, cela est beaucoup plus intensif en capital – ce qui pousse à repenser toute la logique de recapitalisation. Parallèlement, des changements réglementaires sont proposés pour les fonds structurels afin de favoriser le blending.
Les réorientations actuelles du Plan s’inscrivent dans une réflexion plus globale de la Commission européenne sur le policy mix. La politique budgétaire est la laissée pour compte. Les Etats peuvent s’endetter à long terme à des taux d’intérêt extrêmement bas : or, ils ne se saisissent pas de cette opportunité pour investir à long terme. Et la dette improductive continue de monter. Bruxelles voudrait impulser un effort d’investissement public supplémentaire d’environ 0.5% du PIB pour la zone euro. Elle entend montrer la voie avec le Plan Juncker… mais beaucoup reste à faire.

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