Projet européen : l'impératif de la refondation

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Peut-on rester indifférent au risque de délitement de l’Union européenne ? Qui peut nier la désaffection grandissante entre les citoyens et l’Union européenne, perçue comme technocratique et éloignée de leurs attentes ? Pour Confrontations Europe, la réponse aux défis auxquels sont confrontés les Européens — retrouver solidarité et confiance —, passe par l’Europe. Elle doit pour cela se doter d’un projet refondé.

Le risque de désintégration de l’Union européenne, pointé par bien des commentateurs et par quelques responsables politiques plus audacieux, ne semble susciter aucune initiative de la part des dirigeants. Les conséquences qui en résulteraient seraient pourtant redoutables pour chacun de nos pays, pour les Européens mais aussi pour le monde. L’heure n’est pas à la résignation, elle est au sursaut : comment serons- nous mieux à même, ensemble, de relever les défis auxquels nous devons faire face ?
Le 23 juin, les citoyens britanniques diront s’ils veulent ou non rester membres de l’Union européenne. Ce référendum, au résultat plus qu’incertain, illustre le fait que dorénavant l’Union européenne peut se décomposer. D’autres pays pourraient suivre l’exemple du Royaume-Uni… C’est le fait le plus visible d’un délitement progressif où le chacun pour soi l’emporte. La montée des partis prônant le refus de l’Europe en est une autre illustration.
Des citoyens européens, dans des proportions variables selon les pays (et àun niveau élevé en France !), sont de plus en plus nombreux à considérer qu’être membre de l’Union européenne a plus d’inconvénients que d’avantages. À l’instar des citoyens, desresponsables économiques et sociaux blâment l’Europe pour son inefficacité, ses réglementations contraignantes et sa propension à ériger la concurrence en dogme.
Depuis des années, l’Union européenne voit se succéder les sommets de la dernière chance : qu’il s’agisse d’endiguer la crise financière ou de tenter de trouver un accord pour gérer le sort des réfugiés. Les décisions prises parviennent difficilement à effacer les divisions qui existent entre États membres et n’empêchent pas certains de décider de faire cavaliers seuls, mettant à mal les fondements de l’Union européenne, la solidarité en premier lieu. En ces temps de menace terroriste durable, de tension aux frontières et de crise de défiance entre citoyens et dirigeants politiques, les valeurs de démocratie et de paix des Pères fondateurs de l’Europe pourraient retrouver une actualité, bien qu’elles ne résonnent plus auprès des jeunes générations, tant ces acquis semblent naturels et immuables.
La crise à laquelle est confrontée l’Union européenne n’est pas uniquement conjoncturelle. Il faut en pointer les causes pour refonder le projet européen.
 L’UE en bouc émissaire
S’il est nécessaire d’être critique sur la politique et le fonctionnement de l’UE, il ne faut pas pour autant oublier ce que nous lui devons. Les progrès réalisés sur plus d’un demi-siècle sont conséquents. C’est le cas en matière de droits fondamentaux et de droits sociaux (égalité hommes/femmes, congés maternité, conditions de travail…). Nous en bénéficions directement ou indirectement lorsqu’ils améliorent le niveau du droit dans d’autres pays et réduisent de ce fait des concurrences sociales. La libre circulation, Erasmus, la Garantie jeunes… ont des impacts positifs importants. L’euro, qui nous facilite la vie dans nos déplacements, permet d’éviter les « déflations compétitives », fait économiser à l’État (et aux citoyens) des milliards chaque année grâce aux faibles taux d’intérêts. Le plan d’investissement (dit plan Juncker) produit des résultats, la régulation financière progresse. Ces acquis bénéficient aux Européens. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la fin de l’espace Schengen coûterait 80 milliards d’euros à la France en 10 ans, selon une étude de France Stratégie.
Mais responsables politiques, économiques, syndicaux sont prompts à rendre l’Union européenne responsable de leurs propres limites, ils cherchent bien moins à expliquer en quoi, une solution européenne est positive pour les citoyens. Les États membres ne se font pas confiance, rechignent à mettre en œuvre les solutions adoptées en commun et oublient les engagements pris. C’est une spirale destructrice qui explique notamment la difficulté à progresser dans la gouvernance économique de l’Union monétaire. Il y a besoin d’une relance par l’investissement public et privé, de politiques industrielles, mais les États qui le revendiquent ne seront crédibles que s’ils maîtrisent leurs finances publiques. Il faut concilier réformes structurelles indispensables pour une UEM compétitive et convergence sociale et fiscale. De fait, différer les réformes conduit à repousser l’harmonisation et à laisser se développer les concurrences, et donc au chômage, à la précarité et aux inégalités.
Une crise aux multiples facettes
Les États membres sont les premiers responsables de la crise de l’Union européenne. Mais cela ne signifie pas que les institutions européennes n’ont pas une part de responsabilité, ayant érigé la concurrence en dogme, confondu marché unique et uniformité, mis en place une mécanique administrative lourde et une réglementation souvent inadaptée. Certaines de ces limites sont reconnues, y compris par les responsables de ces institutions qui tentent d’y remédier.
L’Europe n’échappe pas à la mutation profonde de nos sociétés (économique, sociale, sociétale), et aux incertitudes qu’elle engendre, à l’obsolescence de nos systèmes de régulation. Mutation qui rend particulièrement difficile la recherche de l’intérêt commun et qui déstabilise toutes les institutions. Cette crise de la démocratie et des institutions fragilise d’autant plus l’Europe qu’elle est de fait plus éloignée des citoyens alors qu’elle a à traiter de problèmes complexes et que les responsables politiques nationaux (responsables de partis, de gouvernement, élus nationaux et européens) assument peu le relais entre citoyens et institutions européennes.
Cette crise est aussi culturelle. Pas grand-chose n’est fait pour que la diversité des cultures nationales soit vécue comme une richesse et non sous le mode de la méfiance. Les programmes Erasmus, Erasmus + ne pourront jamais tout régler. Le travail d’éducation et de culture qui est à mener est gigantesque, comme le souligne avec force et raison Philippe Herzog.
Rénover en profondeur
Un travail de refondation de la construction européenne est indispensable. Certes, Il faut chaque fois que possible améliorer l’existant et nombreux ceux qui s’y emploient, mais il faut aussi se mettre sur une autre trajectoire qui progressivement redonne des perspectives. Améliorer le fonctionnement des institutions est nécessaire, mais les marges de révision institutionnelle sont extrêmement faibles et la nature de la crise appelle des réponses qui ne sont pas de cet ordre.
Que voulons-nous faire en commun avec les autres Européens pour relever les défis auxquels nous sommes ensemble confrontés ? Peut-on peser sur la gouvernance de la finance mondiale, assurer la protection des données, lutter contre le terrorisme, relever le défi de l’emploi, ou celui de l’économie décarbonée… plus efficacement tout seul ? Ce sont des questions qu’il faut mettre en délibération au niveau national et confronter au niveau européen afin de faire émerger des choix partagés et une citoyenneté européenne. Il faut un processus associant les citoyens, les acteurs organisés de la société civile, les élus des territoires… pour dire ce que nous voulons faire ensemble dans le respect des cultures et en admettant que les priorités et les possibilités ne conduisent pas à l’uniformité. C’est ce qui conduit à l’Europe à plusieurs cercles.
Il faut répondre à ces interrogations sans faux-semblants. Il en est ainsi de la souveraineté nationale qui, sur la plupart des grands défis, ne peut être préservée qu’en nous associant aux autres peuples européens… Il faut mettre en évidence le coût d’une décomposition de l’Union européenne.
Dans le même temps, la Commission doit évaluer les externalités négatives produites par les politiques menées. Elle doit réinventer sa gouvernance, qu’elle soit moins descendante, qu’elle donne plus d’espace aux délibérations avec les acteurs économiques, sociaux, les ONG, les territoires… Qu’elle prenne davantage en compte la relation avec le reste du monde.
Refonder le processus européen est vital, difficile, mais porteur d’avenir et de progrès. Il faut s’y mettre. C’est un appel à tous les acteurs de la société civile et aux décideurs.

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