L’urgence d’une réforme de la fiscalité en Europe

Delphine SIQUIER-DELOT

Analyste senior à l’Institut Friedland

Valérie BAUER-EUBRIET

Responsable Communication de l’Institut Friedland

Le 25 avril 2018, Confrontations Europe et l’Institut Friedland ont organisé une conférence pour débattre de l’avenir de la fiscalité en Europe dans un contexte mondialisé. Retour sur les échanges de la journée.

La coexistence de 28 systèmes fiscaux différents au sein de l’Union européenne s’est traduite par une concurrence fiscale âpre entre les États membres, chacun cherchant à attirer les entreprises sur son territoire. La politique fiscale attractive menée par un Royaume-Uni en vue du Brexit et la réforme fiscale américaine mettent également l’Europe fiscale sous pression. La transformation numérique des économies pose par ailleurs de nombreux défis à des systèmes fiscaux développés pour des activités économiques dites « traditionnelles ». Ce contexte révèle les limites du cadre fiscal européen actuel et l’urgence d’une révision profonde.

Les pistes pour faire évoluer la fiscalité des entreprises

Après un rappel du contexte et des enjeux, David Bradbury, responsable de la Politique fiscale et de la division Statistiques de l’OCDE et Gaëtan Nicodème, en charge de l’Unité d’analyse économique de la direction générale Taxation et Union douanière de la Commission européenne, ont exposé les pistes envisagées par leurs institutions respectives pour faire évoluer la fiscalité des entreprises.

L’OCDE a été mandatée par le G20 de Saint-Pétersbourg en 2013 pour contrer les pratiques de BEPS (“Base erosion and profit shifting”) et remettre les standards internationaux en phase avec le nouvel environ­nement économique mondial. Ce travail mise avant tout sur une plus grande transparence et se traduit progressivement au niveau européen (directives ATAD) et au niveau national (reporting pays par pays en France, par exemple).

De son côté, la Commission européenne a relancé le projet d’assiette commune consolidée à l’impôt sur les sociétés (ACCIS) pour harmoniser les règles permettant de déterminer le résultat imposable d’une société au sein de l’UE et compenser ses pertes et profits en Europe.

Harmonisation… et consolidation ?

Parmi les différents scénarios possibles pour l’Europe fiscale, les échanges de la journée ont montré un large consensus en faveur de l’ACCIS avec les deux « C », la consolidation devant permettre de renforcer le marché commun et d’améliorer la compétitivité des entreprises. En effet, l’ACIS sans la consolidation ne permettrait pas de résoudre la question des prix de transfert en Europe, même si la concurrence fiscale ne s’arrête pas aux frontières de l’Europe, comme l’a rappelé Alfred de Lassence, directeur fiscal d’Air Liquide.

Selon Paul Tang, député européen et rapporteur de la directive ACIS, seule l’ACCIS avec la consolidation introduit un véritable changement de paradigme, pouvant ainsi offrir un second souffle aux entreprises.

Patrick de Cambourg, président de l’Autorité des normes comptables, a souligné que l’ACCIS permettrait notamment « une convergence du management et des systèmes de reporting », donc des économies pour les entreprises. À titre d’exemple, Sune Hein Bertelsen, représentant la Confédération des industries du Danemark et membre de Business Europe, a indiqué que les entreprises danoises dépensaient actuellement 2 milliards d’euros par an en coûts de mise en conformité fiscale !

Alain Lamassoure, député européen, rapporteur de la directive ACCIS, a insisté sur l’urgence d’avancer sur ce dossier : s’il s’enlise, l’Europe risque de rater cette opportunité…

Pour Wendelin Staats, chef d’Unité au sein du ministère des Finances en Allemagne, l’adoption de l’ACIS est le meilleur moyen pour atteindre l’ACCIS. Grégory Abate, directeur au sein du département de politique fiscale à la DGFiP, a indiqué que la France et l’Allemagne étaient d’ailleurs très proches de conclure un accord sur ce dossier.

Adapter la fiscalité aux enjeux du numérique

Mais le défi n’est-il pas aussi lié à l’économie du numérique ? C’est pour répondre à cet enjeu que David Bradbury a présenté l’état des travaux de l’OCDE qui a publié, en mars 2018, un rapport intermédiaire intitulé “Tax Challenges Arising from Digitalisation” proposant des réformes à l’horizon 2020. La Commission européenne s’est également saisie du sujet, comme l’a rappelé Gaëtan Nicodème, avec les deux propositions de directive présentées le 21 mars 2018 (taxe de 3 % sur les services numériques et notion de présence numérique significative).

Eelco van der Enden, président du groupe de politique fiscale au sein d’Accountancy Europe, est revenu sur la proposition de taxe de 3 % : est-elle la réponse adaptée aux enjeux ? Selon Stéphane Pallez, présidente de la Française des Jeux, il ne peut s’agir que d’un point de départ… En revanche, pour Maria Volanen, présidente de la commission fiscale au sein de Digital Europe, les mesures ciblées sur les entreprises du numérique sont inadaptées dans la mesure où le numérique se diffuse partout, quelle que soit la taille de l’entreprise et son secteur d’activité.

Pour clôturer les débats de la journée, Pierre Moscovici, commissaire européen pour les Affaires économiques et financières, la fiscalité et les douanes, a réaffirmé son attachement au projet d’ACCIS avec la consolidation, et a ajouté : « Pour avancer sur ces enjeux majeurs, la stratégie se doit d’être collective ».

Des vidéos de la conférence sont en ligne sur www.institut-friedland.org.

Derniers articles

Articles liés

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici