L'Europe des projets partagés

Marcel GRIGNARD et Anne MACEY

Président et Déléguée générale, Confrontations Europe

L’Europe célèbre, en ce printemps, ses 60 ans. Confrontations en aura 25 à l’aube de l’été. À Confrontations, nous sommes persuadés qu’il nous faut continuer à débattre, combattre, défendre des idées pour que l’Europe réponde aux enjeux actuels.

L’Europe des projets partagés

Avec la conviction qu’il vaut mieux confronter les idées autour d’une table que sur un champ de bataille, Confrontations Europe est né il y a 25 ans. C’est aujourd’hui un réseau de 30 000 acteurs : représentants d’entreprises, syndicats, territoires, citoyens de différents pays d’Europe, en dialogue avec les décideurs européens. Plus que jamais, nous cherchons à être un pont entre la société civile et les institutions européennes. Nous voulons contribuer à tisser le fil d’une Europe qui permette aux Européens d’assumer leur destin commun dans un monde en mutations.

Pourquoi l’Europe ? Les raisons de notre engagement

Mondialisation, mutations numérique, énergétique et écologique, enjeux démographiques, sécurité : ces défis, communs aux Européens, nous ne pourrons les relever engoncés dans les limites de nos États nations. Le repli signifierait des reculs dans de multiples domaines et nous mettrait à la merci des choix des puissances dominantes dans le monde.

Or, la perception d’une destinée commune fait défaut. Et les peuples européens ont beaucoup à apprendre les uns des autres pour ­pouvoir se rapprocher dans une Europe différenciée. Nous prenons en pleine figure nos carences d’éducation à l’Europe et d’expériences d’autrui. Confrontations Europe s’est toujours efforcée de contribuer à faire connaître ces réalités ainsi que celles du fonctionnement de l’Union européenne, commode bouc-émissaire d’États nations qui n’assument pas leur responsabilité de décideurs européens et peinent à dépasser leurs intérêts nationaux.

C’est dans un contexte de profondes mutations de nos sociétés que nous poursuivons notre action. Il nous faut reprendre notre destin en mains. Nos modes de développement ont permis des progrès formidables. Mais ils épuisent nos ressources naturelles, dégradent la biodiversité, accroissent les inégalités. Nos sociétés occidentales ne savent plus organiser le vivre ensemble ; les idées de repli et la haine d’autrui prospèrent. La mutation à laquelle nous sommes confrontés est inédite, les défis à relever gigantesques, les solutions d’hier inopérantes. L’Europe doit nous aider à relever les défis de notre futur : à édifier un « nous » individuel et collectif à l’échelle de nos territoires, de l’Europe, de la planète.

Tandis que d’autres régions du monde s’imposent, l’Europe est mise au défi de renouer avec le progrès. Or, c’est un autre type de productivité qu’il faudrait inventer, en replaçant au centre l’humain et l’environnement, le long terme… Il nous faut aussi construire les nouvelles solidarités, sortir d’un chômage massif. Confrontations Europe poursuit ainsi, avec ses partenaires, son combat pour la valorisation du travail, et le développement des capacités humaines de tous les Européens, en lien avec les besoins. Cela devrait doit être placé tout en haut de l’agenda européen. Et ce, encore plus quand il s’agit de jeunes ayant moins d’opportunités. Nous sommes allés à leur rencontre à Sarcelles, Bondy, Lille, Roubaix, pour faire connaître les initiatives de Garantie Jeunesse, Erasmus de l’Apprentissage, Service volontaire européen, mais aussi les obstacles encore à lever (administratifs, réglementaires…). La construction d’un marché paneuropéen du travail doit accompagner et sécuriser les transitions professionnelles. L’échelon européen pourrait poser le principe de garanties (formation professionnelle tout au long de la vie, chômage, maladie, retraite) attachées à la personne, et offerte à tout travailleur ; aux États membres d’en définir les modalités. L’Europe doit tirer parti de sa capacité unique de dialogue entre partenaires sociaux, de son expérience de la participation des travailleurs, impliquer les territoires, les associations. Il y a là un potentiel d’innovation et de renouvellement au sein des entreprises amenées à se réinventer : comment les inciter à développer une dynamique de responsabilités élargies quant aux impacts de leur activité sur la société ? La transformation numérique, le développement durable, l’économie circulaire (mobilité durable, bâtiment propre, déchets…), et l’économie collaborative sont des leviers permettant de prendre en compte l’ensemble des parties prenantes.

Confrontations Europe est depuis 9 ans engagé en faveur des investissements de long terme, sous l’impulsion de Philippe Herzog et tiendra la 3e édition de ses Assises européennes du long terme en octobre 2017. Comment faire émerger des projets d’intérêt général européen ? Quels obstacles existent dans les différents secteurs d’activité ? Comment parvenir à des signaux prix favorisant les investissements, réorienter l’épargne ? Ces questionnements mettent en évidence l’absence de véritable politique européenne dans des domaines clés (énergie, numérique…) laissant s’accroître les divergences entre les États membres. Confrontations Europe se bat, avec ses partenaires, pour une stratégie industrielle européenne, par laquelle l’Europe doit affirmer son autonomie stratégique dans la mondialisation, notamment en matière de numérique. Nous devons mutualiser les investissements de long terme dont nous avons besoin en Europe pour aider chaque pays à monter en compétitivité. Le plan Juncker, pour positif qu’il soit, n’est pas à la hauteur des besoins massifs nécessaires à la préparation de l’avenir : les investissements dans les femmes et les hommes, les investissements paneuropéens ou transfrontières, dans la recherche et l’innovation, les secteurs industriels ou maillons stratégiques de chaînes de valeur, la réciprocité et les investissements directs à l’étranger… Le cadre de régulation financière, rendu nécessaire par la crise qui a éclaté en 2008, a ainsi dû être réajusté pour réorienter la finance vers l’économie. Il demeure cependant indispensable de parachever l’Union bancaire par une garantie fédérale des dépôts, de défragmenter l’Union des marchés de capitaux pour financer nos entreprises innovantes et PME à forte croissance, responsables de l’essentiel des créations nettes d’emplois, et de créer un cadre européen pour déployer l’accès à la finance à ceux qui en sont encore exclus. Dans un monde à hauts risques, nous avons besoin d’un réseau de banques publiques de développement des territoires, y compris les périphéries, et de financeurs privés, assureurs, fonds d’investissement prêts à prendre et maîtriser les risques.

Refonder l’Europe

Dans un contexte marqué par le Brexit, la victoire de Trump, les provocations sécuritaires de Poutine, le terrorisme de Daech, la montée des replis nationaux dans d’autres pays de l’Union, réenchanter l’Europe ne se fera pas sans les Européens. L’impulsion ne pourra émaner des seuls États membres. Une délibération à l’échelle paneuropéenne est nécessaire et les sujets à mettre en débat sont nombreux : les biens communs européens (environnement, etc.) en font partie, les ressources propres pour un véritable budget de la zone euro, pour permettre l’émergence d’une puissance publique européenne.

La future architecture de l’Union européenne est un autre sujet crucial alors que l’actualité remet les coopérations renforcées au premier plan. Confrontations Europe propose de distinguer trois cercles : le voisinage d’abord avec lequel nos relations d’intérêt mutuel de long terme doivent être repensées notamment à travers l’octroi de statuts d’États associés ad hoc pour le Royaume-Uni, mais aussi la Turquie ou la Russie. Le deuxième cercle recouvre l’Union européenne du marché intérieur, avec un espace Schengen capable de consolider ses frontières européennes communes, mais qui manque encore des coopérations à la hauteur permettant de répondre aux enjeux du terrorisme ou de définir une politique migratoire véritable. Enfin, un troisième cercle : la zone euro enfin. Reste à réformer la gouvernance européenne. Il s’agit d’abord de répondre au défi démocratique : les peuples doivent s’accorder sur ce qu’ils veulent partager comme grandes priorités au sein de la zone euro, de l’UE. Il s’agit aussi de trouver une meilleure articulation entre une Commission plus politique (qui doit se doter d’un ministre de l’Économie et des Finances de la zone euro, d’un ministre de la Sécurité intérieure de l’Union…), le Parlement européen et son lien avec les ­parlements nationaux, et le rôle des États membres, libres de définir les modalités de mise en œuvre dès lors qu’ils tiennent leurs engagements.

Confrontations Europe porte ainsi une certaine vision de la construction européenne. Elle se fera non par les institutions d’abord, mais par les projets partagés, non en imposant sa vision nationale aux autres, mais en rapprochant les peuples et les nations dans un rapport ouvert à l’autre, qui permette de partager des diagnostics et d’agir en commun.

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