Le budget : la peau du chagrin européen

Alain LAMASSOURE

Député européen

L’Europe est souvent présentée comme une bureaucratie coûteuse. C’est là une idée fausse alors que le budget européen ne représente que 1 % de toute la richesse annuelle produite dans l’Union. Ne serait-il pas temps d’appliquer au budget le principe de subsidiarité ?

Le budget : la peau du chagrin européen

La solidarité n’est pas une notion abstraite. Elle se mesure. Cela s’appelle un budget. À cette aune, la France est une communauté fortement solidaire : la République redistribue 57 % du revenu national. En revanche, le budget européen ne représente que 1 % de toute la richesse annuelle produite dans l’Union. Pire : ce montant est en baisse de 20 % depuis vingt ans, alors qu’entre-temps trois traités ont accru les compétences européennes et que nous ont rejoints treize pays gros consommateurs de fonds de cohésion. Funeste paradoxe : depuis que l’Union s’est dotée d’une monnaie commune, la solidarité entre ses membres s’est réduite !

Ce paradoxe demeure inconnu du grand public et méconnu des dirigeants nationaux : le budget est le trou noir du débat politique européen. On se bat sur les compétences à donner à l’Union, mais pas sur les moyens financiers de les exercer. Il faut dire que les dirigeants nationaux en gardent des souvenirs cuisants. En 1967, la première évocation du problème de principe a suscité l’ire du général de Gaulle et six mois de « chaise vide » de la France à Bruxelles. En 1984, Margaret Thatcher a introduit la pilule empoisonnée du principe du « juste retour » : désormais financé par des contributions des budgets nationaux, le budget communautaire est prisonnier des égoïsmes des grands argentiers des États membres. Chacun cherche à minimiser sa contribution nationale et à maximiser les retours de la cassette commune en faveur de ses nationaux. Pour éviter des négociations annuelles pénibles avec le Parlement, le budget annuel est encadré par un accord septennal qui fixe les plafonds financiers des grandes politiques. Ce cadre est adopté à l’unanimité par les gouvernements, le Parlement n’ayant la faculté que d’approuver ou de rejeter en bloc.

Un tel dispositif a plusieurs inconvénients majeurs. Il est, tout d’abord, d’une rigidité extrême dans un monde imprévisible, qui exige au contraire une réactivité maximum. Il dévoie, en outre, l’esprit de solidarité. Deux catégories de pays s’opposent en permanence : les bénéficiaires nets, accusés de tendre constamment la main, et les contributeurs nets, parmi lesquels les parlements nationaux, se lassent de plus en plus de financer ce qu’ils jugent être le gaspillage des autres. Autre point noir du dispositif : le maintien des priorités d’hier au détriment des politiques nouvelles : près de 40 % des dépenses continuent d’être allouées à la politique agricole, et un montant comparable à la politique de cohésion régionale, alors que la recherche ne reçoit que 10 %, et les autres politiques quelques miettes. Le Parlement a livré une bataille titanesque pour tripler les crédits de l’agence Frontex, préfiguration du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes : les 500 Me ainsi obtenus sont à comparer aux 32 milliards $ dont bénéficie son homologue américain.

Il faut aussi reconnaître que ce système conduit à l’irresponsabilité généralisée. D’autant que ce septennat budgétaire ne correspond en rien au calendrier politique des mandats de la Commission, du Parlement et du Président du Conseil européen. Arrivé aux manettes à la fin 2014, Jean-Claude Juncker a découvert que la camisole budgétaire adoptée l’année précédente le paralyserait pour la totalité de son mandat ! Enfin, de manière plus pernicieuse, on assiste au rapatriement progressif de compétences de l’Union au niveau national. Car, face à l’urgence extrême, faute de trouver la moindre marge de manœuvre au sein du budget commun, les dirigeants nationaux ont multiplié la création de fonds satellites dédiés à des tâches précises : Fonds Juncker, aide aux réfugiés du Liban et de Jordanie, aide à la réadmission de réfugiés en Turquie, fonds eurafricain de La Valette dont le but serait d’endiguer la crise migratoire, aide à l’application des accords de Paris sur le réchauffement climatique dans les pays en déve­lop­pement, etc. Financés par des contributions nationales proportionnelles au PIB des États membres, ces fonds sont mis en place et gérés par des décisions à l’unanimité. Ils échappent généralement à tout contrôle parlementaire : le Parlement de Strasbourg est hors-jeu par définition, et les Parlements nationaux n’ont guère la possibilité politique de remettre en cause les engagements internationaux pris par leurs chefs de gouvernement.

Les trois pistes explorées

Sous l’impulsion personnelle de Philippe Herzog, Confrontations a été l’un des très rares think tanks à accompagner nos efforts au Parlement pour sortir de cette impasse. Trois pistes ont été explorées simultanément.

  1. La recherche de nouvelles ressources propres, susceptibles d’alimenter directement le budget européen en remplaçant progressivement les contributions nationales. L’alliance du Parlement et de la Commission a permis en 2013 d’imposer aux ministres des finances la création du groupe à haut niveau présidé par Mario Monti(1), ainsi qu’un accord de principe pour mettre en œuvre une réforme à partir de 2020 : construire l’Europe exige une patience que je n’hésite pas à qualifier de géologique…
  2. La création d’un budget d’investissement de l’Union. Les travaux de Confrontations sur le financement des investissements à long terme ont pavé la voie de l’élaboration du plan Juncker. Au-delà, le plus simple serait évidemment de transformer progressivement l’énorme fonds d’aide aux États de la zone euro en difficulté (bizarrement nommé Mécanisme européen de stabilité) en fonds de prêts aux investissements d’avenir : infrastructures, recherche, innovation.
  3. La mise en place d’un budget propre à la zone euro, dont le principe est plus facilement admis par les États « austères » de l’Europe du nord. Comme l’a montré le rapport Monti, des ressources comme le droit de seigneuriage de la Banque centrale, ou une taxe sur les transactions financières, peuvent alimenter plus légitimement un budget de la zone euro.

Le moment est venu de lancer un nou­veau chantier : la dimension budgétaire du principe de subsidiarité. Curieusement, cet aspect essentiel n’a jamais intéressé personne. Chaque fois qu’est proposée une dépense supplémentaire à Bruxelles, des voix indignées s’élèvent pour accuser l’Union de donner le mauvais exemple et de « coûter trop cher ». Or, si le principe de subsidiarité est pleinement respecté, on ne doit solliciter l’Union que si elle apporte une efficacité accrue pour un coût identique, ou un coût moindre pour une efficacité égale : la preuve doit être apportée qu’un euro de plus dépensé à Bruxelles permet d’économiser plus d’un euro au niveau national. Le calcul n’a jamais été fait lorsqu’on a créé la trentaine d’agences communautaires ou le service d’action extérieure de l’Union. Il doit devenir systématique si l’on veut convaincre les citoyens que « plus d’Europe, c’est moins d’impôts ». Un beau défi de pédagogie politique ! Quel candidat à l’élection présidentielle serait-il prêt à s’y risquer ?


TÉMOIGNAGE
Alain LAMASSOURE, Groupe PPE, député européen, ancien ministre délégué aux Affaires européennes (1993-1995), ancien ministre délégué au Budget (1995-1997)

Ma complicité avec Confrontations a débuté en 1999 alors que Philippe, député européen, a eu en charge l’écriture d’un rapport sur les services publics européens. Bien que Philippe ait été élu sur une liste de gauche, il a réussi à obtenir, au Parlement, une très large majorité et ce rapport a défini les « services d’intérêt économique général », cités dans le Traité de Lisbonne.

Je suis assez vite devenu très proche de Confron­tations qui était, à l’époque, le seul think tank capable d’organiser des débats d’idées entre Européens venant de pays différents et de familles politiques différentes. J’ai été vice-président du think tank jusqu’à une date récente. Pour moi, il est rare de voir un think tank financé par quelques grandes entreprises du CAC 40 et où bien des auditeurs appartiennent à la gauche française. C’est là un mariage heureux.

Il faut apporter une réponse européenne aux grands enjeux actuels (terrorisme, Brexit, vagues migratoires…) et aussi aux opportunités offertes, par exemple, par l’économie digitale. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réflexion sur la possible organisation de l’Europe en trois cercles : le cercle du voisinage (Ukraine, Russie, Turquie, Grande-Bretagne…) ; le cercle des « colocataires » de l’Union européenne et, enfin, « le cercle de famille » que l’on doit bâtir ensemble, sans l’aide des Traités, afin de déterminer des coopérations renforcées dans les domaines monétaire, de politique digitale, d’espace Schengen…

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