La Pologne va-telle sortir de l’UE ?

Tomasz GRZEGORZ GROSSE

Sociologue, politologue, historien et professeur à l’Université de Varsovie et expert auprès de l’institut Sobieski.

Fin décembre, la Commission européenne a déclenché une procédure sans précédent contre le gouvernement polonais dénonçant la mise sous tutelle par le pouvoir politique de la justice du pays.
Le politologue Tomasz Grzegorz Grosse estime ces attaques injustifiées.

Le président et le gouvernement actuels polonais ne cessent de répéter qu’ils sont favorables à une plus grande intégration au sein de l’Union européenne, et c’est là le souhait d’une majorité de Polonais. Néanmoins, les autorités du pays aimeraient que l’Union européenne prenne une autre direction que celle qu’elle est en train de suivre.

Les propositions de la Pologne n’ont pas vraiment été accueillies avec enthousiasme par les institutions européennes, ni par certains des États membres. Et ce, bien que la direction que prend l’intégration européenne demeure le plus grand sujet de discorde au sein du bloc, et est loin d’être le seul.

Pendant plusieurs années, le gouvernement polonais a souligné la nécessité de se concentrer sur la sécurisation des frontières extérieures et s’est opposé au système de quotas de migrants de répartition entre les États membres. La question de l’accueil de réfugiés et d’immigrants relève de la sécurité nationale et à ce titre, devrait être réglée au niveau national. L’avenir du marché unique est également au cœur de nos préoccupations. La Pologne est attachée aux libertés garanties par les nombreux traités de l’UE, notamment la libre circulation des services et de la main-d’œuvre, et s’oppose à toutes restrictions de ces libertés, notamment celles inscrites récemment dans la Directive sur les travailleurs détachés. Pour Varsovie, seule l’Europe de l’Ouest bénéficierait de ce changement, qui entraînerait le relèvement des taux d’emploi et de la compétitivité au détriment de l’Europe centrale.

L’avenir du programme climatique et énergétique, la politique de défense et le prochain budget pluriannuel sont également des questions controversées.

Crise des valeurs

Des officiels de l’UE ont réaffirmé à plusieurs reprises que la loi européenne devait s’appliquer sans exception, et que la démocratie et l’État de droit devaient être maintenus. On peut tout de même juger plutôt douteuses certaines des accusations portées contre la Pologne. Par exemple, dans le cas de la réforme judiciaire, la Commission européenne considère la différence d’âge de départ à la retraite entre les hommes et les femmes occupant la fonction de juge comme une violation des règles d’égalité entre les sexes. Pourtant, de telles législations existent déjà dans d’autres États membres de l’UE. En Pologne, cette différence est la norme depuis de nombreuses années, et la Commission ne l’a jamais remise en question par le passé. En outre, la Cour constitutionnelle polonaise a déclaré en 2010 que le privilège de départ à la retraite anticipé pour les femmes était un principe constitutionnel.

Le désaccord sur les valeurs européennes pourrait également être considéré comme un désaccord entre conservatisme social et libéralisme. Des membres du parti au pouvoir en Pologne sont d’avis qu’une intégration européenne plus poussée doit reposer sur les bases chrétiennes de l’Europe, et que cette inté­gration devrait se limiter aux nations européennes, et à leurs diverses valeurs et traditions. Ils se montrent sceptiques vis-à-vis d’une ouverture de l’Europe à l’immigration non européenne et remettent en cause les prémisses du multi­culturalisme, qui favorise l’installation de groupes qui non seulement s’intègrent difficilement à la société européenne, mais défient ouvertement les valeurs européennes et représentent une menace pour la sécurité nationale.

En conséquence, les débats au sein de l’Europe se tendent de plus en plus. Au-delà des divergences entre intérêts nationaux, c’est là la marque d’une crise des valeurs qui s’aggrave et complique l’obtention d’un compromis. Le gouvernement polonais reste en faveur de l’intégration, mais il ne renoncera pas à ses intérêts nationaux, à son identité nationale ni à la sécurité du pays. Ces sentiments semblent partagés par de nombreux citoyens polonais, les sondages montrant un soutien important au PiS. Dans le même temps, l’UE cherche à maximiser ses intérêts en essayant de soumettre les autorités polonaises : elle exerce pour cela une pression politique en l’accusant d’« autoritarisme », tout en radicalisant sa position sur les valeurs acceptées. Il ne s’agit plus ici de simplement mettre la Pologne sur la touche : il semblerait que l’objectif soit de lui « faire quitter » l’UE.

Pour aller plus loin :

http://cakj.pl/author/Grosse

http://www.sobieski.org.pl/eksperci/dr-hab-tomasz-grzegorz-grosse

•À lire également, le rapport publié par l’auteur sur l’euroégoïsme : http://cakj.pl/2017/09/21/the-prospect-of-euro-egoism-european-union-on-the-way-towards-protectionism

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale de Confrontations Europe.

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