La crise catalane ou Don Quichotte à Bruxelles

Frédéric ALLEMAND

Chercheur associé à l’Institut Robert Schuman, Faculté de droit, d’économie et de finances de l’Université de Luxembourg

La crise catalane est loin d’être résolue même si elle ne fait plus la Une des médias. L’Union européenne affiche une grande prudence depuis le début de la crise : cette attitude est-elle justifiée ?

D’aucuns jugeront maladroite et indélicate la référence à un héros castillan pour évoquer la crise catalane. Pourtant, aucun des acteurs de cette aventure aux tristes et divers rebon­dis­sements, qu’il se trouve à Barcelone, Madrid ou Bruxelles, n’a de destin à envier au chevalier errant : tous défaits par une réalité qu’ils ont volontairement ignorée. La légitimité des urnes que les indépendantistes catalans ont brandie à la suite du référendum du 1er octobre 2017 s’est brisée contre le principe de légalité opposé par le tribunal constitutionnel, garant du respect de la Constitution de 1978. La reconduction de la majorité indépendantiste lors des élections au Parlement de Catalogne du 21 décembre dernier est une victoire de papier de ce point de vue. Elle n’efface pas les poursuites judiciaires engagées en novembre contre une partie des responsables indépendantistes, à la suite de la proclamation illégale de « la République catalane, comme État indépendant et souverain ». Entre exil forcé, détention provisoire ou retrait de la vie politique, rares sont les indépendantistes prêts à reprendre le combat là où il s’était arrêté à l’automne. Sur le plan électoral, cette élection cache mal la hausse du nombre de voix en faveur des partis unionistes, ­Ciudadanos en tête.

La radicalisation de la scène politique catalane sur les dernières années marque aussi l’échec de la politique d’indifférence conduite par le gouvernement Rajoy. L’invalidation, en 2010, de trois dispositions symboliques de la réforme du statut d’autonomie de la Catalogne par le tribunal constitutionnel – dont celle sur la reconnaissance de la notion de « nation catalane »(1), est ressentie par les Catalans comme une atteinte profonde à leur identité. Jamais par la suite, le gouvernement de Madrid ne tentera de réduire la rupture.

« On voit bien, répondit don Quichotte, que tu n’es pas expert en fait d’aventures : ce sont des géants, te dis-je ; si tu as peur, ôte-toi de là, et va te mettre en oraison pendant que je leur livrerai une inégale et terrible bataille. »
L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, Miguel de Cervantes, tome 1

Inflexibilité de Madrid

Avec la crise financière de 2011/2012, le gouvernement central accentue son emprise sur les finances publiques locales et, in fine, sur le modèle d’État-Providence catalan. Bénéficiant de larges compétences dans le domaine sanitaire, social et de l’éducation, la Catalogne réclamait de longue date un système de financement similaire à celui du Pays basque ou de Navarre(2) à même de réduire sa forte dépendance aux transferts de l’État (qui comptent pour 80 % de son budget). Portée par Artur Mas, la proposition d’un pacte fiscal est rejetée par Mariano Roy. L’inflexibilité de Madrid à toute évolution des compétences fiscales conforte les autonomistes dans la voie de l’indépendance.

Tout au long de cette crise, tant les institutions de l’Union que les représentants des États membres se distinguent par leur prudence. La crise catalane relève d’une question interne, est-il avancé et sa résolution ne peut passer que par un dialogue entre le gouvernement central et celui de Catalogne dans le respect de l’État de droit. C’est oublier fort commodément que les mesures d’ajustement économique demandées par la troïka au titre du soutien financier au secteur bancaire espagnol ont contribué à aggraver les tensions entre Barcelone et Madrid. La venue de Puigdemont à Bruxelles, tant pour échapper à la détention provisoire en Espagne que pour internationaliser la gestion de la crise et rappeler l’Union à ses responsabilités, n’y change rien.

Don Quichotte, vaincu par les moulins, remonta, non sans mal, sur Rossinante. Qu’en sera-t-il pour la Catalogne, l’Espagne et l’Union ? Mariano Rajoy a accepté mi-octobre le principe d’une révision constitutionnelle, sous réserve d’un large consensus politique. De son côté, l’idée de dispositifs budgétaires conjoncturels pour les États de la zone euro gagne en audience ; ils contribueraient utilement à alléger la gestion locale des crises économiques. Peut-on espérer que la situation actuelle introduise une rupture avec le passé pour nous permettre, Européens et Espagnols, de penser à nouveau notre avenir ? Nous le souhaitons, quoique le chemin à parcourir s’avère assurément long.

1) À savoir les dispositions qui reconnaissaient la notion de « nation catalane », appliquaient un régime préférentiel du catalan sur le castillan dans l’administration et, enfin, attribuaient un pouvoir de tutelle de la Catalogne sur les juridictions administratives.

2) Il s’agit du régime foral : contrairement au régime commun appliqué dans les autres communautés dont la Catalogne, le Pays basque et la Navarre collectent l’impôt directement et n’en reversent qu’une partie à l’État. Cf. Alistair Cole, Jean-Baptiste Harguindeguy et Romain Pasquier, La gouvernance territoriale espagnole à l’épreuve de la crise éco­nomique : vers la recentralisation ? Critique internationale, 2015/2, n° 67, p. 108.

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