Éviter le Brexit « sans mise en scène pseudo-dramatique »

Renaud THILLAYE

Directeur adjoint de Policy Network (Londres)

Faut-il faire « tout ce qu’il faut » pour accéder aux demandes du Premier ministre britannique, David Cameron, qui entend renégocier les conditions de l’adhésion britannique à l’Union européenne ? Jusqu’où aller pour maintenir les Britanniques dans l’Union sans risquer de détricoter l’Union de demain ?

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© Davil Iliff. License: CC-BY-SA

Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? » Telle sera vraisemblablement la question posée aux électeurs britanniques à l’été ou à l’automne prochain, à moins que le référendum n’ait lieu en 2017. En attendant, David Cameron est au pied de la montagne. Alors qu’il répète depuis plus de deux ans qu’il souhaite renégocier les conditions de l’adhésion britannique et proposer à son peuple une Europe réformée, il n’entame la phase de discussion active qu’aujourd’hui. Quatre grands thèmes de discussion ont été proposés au Conseil européen des 25 et 26 juin : souveraineté, liberté de circulation, équité entre la zone euro et l’UE-28, et compétitivité.
Tous ceux qui s’inquiètent d’une Europe amputée des Britanniques se demandent à juste titre comment aider le Royaume-Uni. Faut-il faire « tout ce qu’il faut » (« whatever it takes », pour reprendre la fameuse formule prononcée par Mario Draghi en 2012 au sujet de l’euro) pour éviter un Brexit, et accéder aux demandes de David Cameron ? Ou est-il préférable de se montrer ferme pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore, et commencer le détricotage de l’acquis communautaire ?
Le Royaume-Uni sortirait perdant
Sur le papier, le Royaume-Uni a tout à perdre d’une sortie de l’Union européenne. Le bénéfice économique net est estimé à plusieurs dizaines de milliards de livres, soit entre 2 et 5 % du PIB britannique. La Confederation of British Industry (l’équivalent du MEDEF) traduit cela en un surplus de 3 000 livres par ménage et par an. Le commerce extérieur se fait pour moitié avec les pays de l’Union européenne, et l’administration estime à 3,5 millions le nombre d’emplois qui y sont rattachés. Pour certains secteurs, comme les services financiers, l’industrie pharmaceutique, l’automobile ou l’éducation supérieure, l’appartenance à l’Union européenne est déterminante. Entre 2007 et 2013, les universités britanniques ont récupéré 16 % des fonds européens au programme européen de recherche FP7 alors que la contribution de Londres ne représentait que 11,5 % du budget européen. On pourrait également évoquer les avantages de l’échelle européenne pour les questions commerciales, environnementales et de politique étrangère.
Même sur la question sensible de la liberté de circulation, le Royaume-Uni est gagnant. D’après une étude de l’Université de Londres, les travailleurs venus d’Europe centrale et orientale entre 2000 et 2011 ont, en proportion de leur nombre, contribué aux finances publiques britanniques bien davantage que les Britanniques eux- mêmes. L’impact négatif sur les bas salaires et les emplois peu qualifiés ne peut être nié, mais c’est un phénomène très localisé et les remèdes sont connus : stricte application des standards sociaux européens, correction des excès d’un marché du travail ultra-flexible, aide aux collectivités confrontées à un afflux massif de travailleurs étrangers.
Les enquêtes d’opinion, pour l’heure assez favorables au camp pro-européen, montrent que la question de l’intérêt économique trouve une forte résonance au sein de l’électorat. L’aversion au risque, la peur d’un saut dans l’inconnu pourraient apporter une prime non négligeable en mobilisant beaucoup d’électeurs sceptiques, surtout si David Cameron et les principaux leaders conservateurs (Boris Johnson, George Osborne, Theresa May) s’engagent à l’unisson contre le Brexit. Cependant, seuls 20 à 30 % des électeurs sont clairement acquis, et il reste beaucoup d’indécis à convaincre.
De la place pour tout le monde dans l’Union
Dans ce contexte, il ne faut pas oublier une réalité : les Britanniques sont sans doute l’un des peuples les moins émotionnellement attachés à l’Europe. Tout événement connoté négativement, comme la résolution chaotique de la crise grecque, l’incapacité des Européens à gérer collectivement la crise des migrants, ou encore les derniers chiffres de l’immigration britannique laissant apparaître l’impuissance du gouvernement face à l’afflux de travailleurs étrangers, apportent de l’eau au moulin des anti-Européens.
C’est pourquoi il est dans l’intérêt de tous d’offrir à David Cameron un accord digne de ce nom, qu’il puisse brandir comme la preuve rassurante qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’Union de demain. Cela ne passe pas nécessairement par une mise en scène pseudo-dramatique dont l’Europe n’a que trop le secret. Ce scénario verrait un premier sommet échouer sur fond de divergences spectaculaires, notamment avec la France (un scénario évoqué très sérieusement par l’ancien ministre conservateur Andrew Lansley), avant qu’un accord ne soit trouvé qui permette à chacun de revendiquer la victoire. Une meilleure option serait d’examiner avec sérieux et créativité les quatre thèmes de discussions proposés par les Britanniques.
L’ajout d’un « protocole britannique »
Sur la forme, David Cameron a compris qu’il n’y aura pas de changement de traité d’ici 2017. Rien n’interdit cependant au Conseil européen de parvenir à une déclaration solennelle prévoyant l’ajout d’un « protocole britannique » lors d’une future révision, ainsi qu’un engagement en faveur de changements législatifs et une réitération de certaines priorités chères aux Britanniques. Il n’échappe à personne que la zone euro devra sans doute programmer une révision des traités après 2017, comme le prévoit d’ailleurs le Rapport des cinq présidents publié en juin. Sur le fond, il faut répondre aux inquiétudes du Royaume-Uni sans remettre en cause les principes fondamentaux de l’Union. Que Londres soit exempté de la clause d’« union toujours plus étroite entre les peuples d’Europe » n’aura pas d’impact significatif sur la marche future de l’Union européenne, notamment de la zone euro. La formulation adoptée par le Conseil européen de juin 2014 résume bien les choses : « La notion d’union toujours plus étroite permet aux différents pays d’emprunter différentes voies d’intégration, en laissant aller de l’avant ceux qui souhaitent approfondir l’intégration, tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l’approfondissement ».
Dans le même esprit, une formule pourrait être adoptée précisant que les développements futurs de la zone euro ne devront pas porter atteinte de manière disproportionnée aux intérêts des pays qui n’en font pas partie. Ce point est particulièrement sensible, car il est possible que la zone euro renforce les formes de coopération en matière fiscale et sociale, comme dans le cas de la taxe sur les transactions financières. Sans redonner à Londres un droit de veto ni généraliser le système de double majorité (euro/non-euro) mis en place
à l’Agence bancaire européenne, on peut imaginer un droit de recours au Conseil européen lorsqu’un risque survient. Si le désaccord persiste, ce sera à la Cour de Justice de trancher, comme elle le fait déjà régulièrement (par exemple, récemment, sur les chambres de compensation).
Créer un fonds européen d’aide à la mobilité
La question de la liberté de circulation est sans doute la plus sensible et la plus épineuse. L’une des revendications phares de David Cameron, à savoir un délai de quatre ans avant d’accorder aux travailleurs européens les mêmes avantages sociaux qu’aux Britanniques (notamment le crédit d’impôt sur les bas salaires et les allocations familiales) heurte de plein fouet le principe de non-discrimination inscrit dans les traités. Il est peu probable, ni souhaitable, que Londres obtienne gain de cause. En revanche, on peut s’engager à renforcer la lutte contre les abus aux prestations sociales, ou se déclarer en faveur de périodes de transition plus longues en cas de nouvelle accession. Un fonds européen d’aide à la mobilité pourrait être formalisé et doté de moyens substantiels afin d’aider les pays receveurs nets de migrants, qu’ils soient travailleurs communautaires ou demandeurs d’asile.
Enfin, concernant la compétitivité, David Cameron a déjà toutes les clés d’un discours offensif en main. Les priorités de la Commission Juncker correspondent aux préférences britanniques, notamment l’approfondissement du marché unique dans les services, le numérique, l’énergie, les marchés de capitaux, ainsi que les négociations de l’accord de libre-échange transatlantique (TAFTA). La nouvelle structure de la Commission et son agenda de « meilleure régulation » répondent à des préoccupations longtemps exprimées à Londres. Pourquoi le premier ministre britannique s’interdirait-il de convaincre son peuple que l’Europe a aussi changé grâce à lui ces dernières années ?
Plutôt que de s’arc-bouter en prêchant le statu quo, la France et ses partenaires ont donc l’opportunité de clarifier comment préserver les bénéfices d’une Europe à 28 tout en approfondissant l’intégration dans la zone euro et en apportant des solutions créatives à la crise migratoire. Opposer aux demandes britanniques une fin de non-recevoir ne ferait que renforcer l’image négative de l’Europe outre- Manche et rendrait la tâche de Cameron plus difficile. Au final, tout le monde y perdrait.

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