Donnons-nous les raisons d’espérer

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Après une laborieuse année 2018, l’Europe aborde 2019 dans un climat d’incertitude quant aux conclusions du Brexit et elle va devoir affronter des échéances majeures. Tentons d’éclairer les enjeux avant que nous n’entrions dans le vif d’une campagne qui va conduire à l’élection d’un nouveau Parlement puis à la mise en place d’une nouvelle Commission, avec en arrière-plan ce qui guide le travail de Confrontations.

L’année 2018 n’aura pas permis de franchir d’étapes significatives sur le plan de la construction européenne. Retenons cependant que, bien que l’incertitude soit au plus haut, les pays de l’Union ont été unis sur la gestion du Brexit et le travail mené par Michel Barnier est à saluer. Les États membres ont aussi réagi de manière convergente dans le rapport de force engagé par le président des États-Unis mais sont restés démunis face aux menaces qui pèsent sur les entreprises européennes tributaires du dollar. Ils ont aussi avancé sur la construction d’une politique de défense commune en se dotant du Fonds européen de la défense. Saluons également la mise en place d’une « Autorité Européenne du Travail » qui devrait donner à l’Union européenne les moyens d’une mise en œuvre efficace des règles rénovées encadrant la question des travailleurs détachés. On peut aussi évoquer le renforcement de la protection des frontières communes rendu possible grâce à la mission de l’agence Frontex ou la réussite de Galileo, le « GPS européen » dont les signaux sont utilisés par des services de géolocalisation sans que ceux qui en bénéficient en connaissent tous la source européenne. À la veille des élections européennes, le Parlement européen, la Commission, de nombreux think tank vont à raison rendre visibles ce que fait l’Europe pour les Européens et Confrontations y contribuera.

Mais le plus marquant en 2018 a été la persistance, voire l’amplification des difficultés qui se sont fait jour entre Européens, ce qui les a empêchés d’avancer sur des dossiers vitaux et n’a fait qu’accentuer les risques de délitement. Les États de l’Union se sont révélés toujours aussi divisés sur l’accueil des migrants, et ont été incapables de réformer les règles de Dublin faisant peser sur les pays de première entrée l’examen des dossiers des demandeurs d’asile ou d’harmoniser au niveau européen le droit d’asile. Les États ne sont pas non plus parvenus à s’accorder sur la manière d’aborder la fiscalité des GAFA et les États membres y sont allés en ordre dispersé. Aucune stratégie industrielle digne de ce nom n’a été mise en place face aux offensives des grandes régions du monde. Nous avons une politique « climat » ambitieuse ; la Commission travaille à un scénario de « neutralité carbone » pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré mais cela requiert une mutation radicale de la mobilité et nous ne sommes pas non plus partis pour maîtriser l’industrie de la batterie…

Pourquoi est-il si difficile d’avancer alors que progresse la conscience de l’interdépendance face aux défis que nous avons à affronter, et que l’Europe fait partie de la solution ? La dernière enquête du Cevipof(1) rappelle que les Français sont de moins en moins nombreux (28 %) à considérer que ce qui se passe dans le monde n’aurait pas d’impact pour eux. Les raisons des blocages sont nombreuses et, des citoyens à la présidence de la Commission, chacun porte une part de responsabilité, mais celle qui incombe aux États membres est majeure. Au sein du Conseil européen, l’intérêt européen passe après leurs intérêts nationaux, quand les intérêts nationaux ne sont pas eux-mêmes relégués derrière des intérêts politiques partisans. L’histoire du référendum britannique convoqué par un Premier ministre dans le but de régler les différends au sein de son parti et aboutissant à plonger son pays dans une grave crise assortie de son lot de difficultés pour tous les Européens est un cas d’école. En fait, les réunions du Conseil européen à Bruxelles sont empoisonnées par le poids des difficultés (voire des crises) politiques nationales, de la montée des replis identitaires dans tous les pays. Une situation qui rend hypothétique leur engagement dans la construction des politiques de l’Union européenne. A contrario, ces derniers temps se sont formées des coalitions de blocage : les pays de Visegrad s’opposant farouchement à l’accueil des migrants, les Pays-Bas et les pays nordiques affirmant leur opposition aux transferts au sein de la zone euro souhaités par la France laquelle dépense beaucoup d’énergie sur le sujet dans le franco-allemand sans vraiment convaincre.

 

Priorités de Confrontations Europe

Tout ceci ne fait qu’illustrer la crise de la démocratie et celle du mode de développement qui se sont progressivement installées au cours des dernières décennies et qui touche l’ensemble du monde occidental. Deux sujets majeurs qui, pour Confrontations Europe, doivent être des priorités dans les débats en vue des élections au Parlement européen avec pour objectif d’apporter pendant le prochain mandat des institutions européennes des réponses aux citoyens européens.

Pour ce faire, nous avons besoin d’une Europe plus politique, respectueuse de ses diversités, capable de consolider nos souverainetés quand les replis nationaux conduiront inéluctablement à leur affaiblissement. Poser ainsi les enjeux pourrait sembler ignorer l’antagonisme profond entre l’aspiration des citoyens à maîtriser localement leur avenir, à préserver leurs cultures avec une souveraineté de plus en plus partagée au niveau européen. Il s’agit au contraire d’en comprendre les raisons et de se donner les moyens de le dépasser. D’une part, parce que si au sein de l’Union européenne nous ne parvenons pas à réduire les concurrences fiscales et sociales, à remettre de la solidarité (autant de paramètres d’un nouveau mode de développement), l’union du marché unique et des libres circulations des biens et des personnes ne résistera pas. Dans le même temps, nous devons prendre à bras-le-corps les défis que nous pose la crise de la démocratie. Ne pas réussir à redonner du souffle à une démocratie représentative critiquée, voire parfois rejetée serait abdiquer au regard de l’histoire et de nos valeurs européennes.

Les derniers Eurobaromètres confirment le fort attachement des Européens à l’Union, à l’euro (c’est le cas de 70 % des Français). La récente enquête du Cevipof confirme que les Français sont largement europhiles (à 42 %, eurosceptiques à 23 %) mais que leur confiance dans les institutions européennes est faible (28 %) et en recul. Les Français sont aussi de moins en moins nombreux (27 %, en recul de 9 % en un an) à considérer que notre démocratie fonctionne bien. Si l’on considère les attentes que les citoyens ont exprimées lors des consultations citoyennes qui se sont déroulées d’avril à octobre 2018 dans 27 États membres(2), on comprend que ce ne sont pas les aspirations profondes des citoyens européens qui constituent l’obstacle à la construction de notre destin commun.

Nous affirmons depuis longtemps que la participation des acteurs concernés aux décisions concernant leur avenir était incontournable tant pour des raisons de démocratie que pour des raisons d’efficacité des politiques à conduire. Nous affirmons depuis des mois qu’il fallait que les Européens disent ce qu’ils voulaient faire ensemble pour construire leur destin commun. En France, la crise des « gilets jaunes » met en évidence l’urgence de formes de démocratie participative (pour l’essentiel à inventer) à même de se confronter à la démocratie représentative pour la consolider et faire vivre des institutions indispensables à la démocratie.

À leur manière, les consultations citoyennes étaient censées s’inscrire dans cet objectif. Cette initiative française proposée aux Européens n’est pas parvenue à les convaincre. En France, 70 000 personnes ont participé à ces consultations, ce qui est positif même si elles ne nous semblent pas être parvenues à toucher les populations les plus éloignées de l’Europe. Après s’être saisi de la synthèse de ces Consultations en décembre, le Conseil européen de Sibiu (Roumanie) le 9 mai décidera des suites qu’il entend donner aux souhaits exprimés par les citoyens européens.

En 2019 seront posées les bases du prochain mandat européen. Nous souhaitons que la campagne des européennes permette de poser les conditions d’une Europe comme prolongement des choix nationaux et respectueuse de ses diversités, leur apportant une plus-value pour construire ce nouveau mode de développement qui est un impératif pour l’avenir de l’humanité. L’Europe doit démontrer qu’économie compétitive, cohésion sociale et solidarité, maîtrise du climat et protection de l’environnement sont compatibles. L’Europe doit prendre les moyens de peser dans le monde pour réinventer une politique des échanges conforme à ces ambitions.

Rien ne sera facile. Faisons confiance aux territoires pour bâtir du transfrontière ; revoyons les critères d’éligibilité et les ambitions des plans d’investissement de long terme pour en faire des leviers d’un développement répondant aux attentes des Européens ; pensons l’entreprise en Europe comme moyens de préserver « les biens communs ». Donnons-nous des raisons d’espérer dans notre futur d’Européens.

1) Enquête réalisée en décembre 2018 sur www.sciencespo.fr/cevipof/fr

2) Cf. article dans La Revue sur les consultations citoyennes en Europe de Clotilde Warin, p. 28 et 29.

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