COP 22 : Après l’effervescence, un réveil douloureux

Michel CRUCIANI

Chargé de mission au Centre de Géopolitique de l’Énergie et des Matières Premières à l’Université Paris-Dauphine, conseiller Énergie-Climat à Confrontations Europe

Après le succès de la conférence de 2015 sur le climat, celle de 2016 à Marrakech s’annonçait comme une fête. L’élection de Donald Trump a subitement obscurci l’avenir de l’accord signé à Paris un an plus tôt. Ce fâcheux exemple pourrait compliquer les discussions autour du « paquet » législatif présenté par la Commission européenne, dont le volume déroute déjà bien des experts.

La 22e conférence internationale sur le climat (COP 22) s’est ouverte le 6 novembre à Marrakech dans des conditions idéales. Moins d’un an après sa signature, l’Accord de Paris venait d’entrer en vigueur, une rapidité sans précédent dans l’histoire des traités internationaux, grâce à la ratification de 111 pays. Tous ont confirmé ainsi leur engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour éviter une élévation excessive des températures sur la planète. Autres signes positifs enregistrés avant l’ouverture des travaux : les 170 pays signataires du protocole de Montréal sur la haute atmosphère ont accepté de le modifier dans un sens favorable à la protection du climat, et les 191 États membres de l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile ont convenu de plafonner les émissions de ce secteur à leur niveau de 2020, quelle que soit la croissance du trafic aérien.

La dynamique créée par l’Accord de Paris a surpris les négociateurs, arrivés à Marrakech l’esprit léger face à un ordre du jour peu ambitieux. Surpris, car si le texte devient applicable, il convient que les États remettent leurs plans d’action officiels ; or la plupart des pays n’ont pas dépassé le stade des promesses, les fameuses INDC, ou intentions décidées au niveau national de contribution à l’objectif commun. Mais la somme des INDC ne permet de contenir le réchauffement climatique que vers 3 °C ! Pour rester en dessous de 2 °C, objectif de l’Accord de Paris, il faudra que les NDC, c’est-à-dire les programmes précis qui succéderont aux intentions, soient beaucoup plus sévères…

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, survenue le 8 novembre, a détourné l’attention et ouvert une porte de sortie pour les gouvernements hésitants. Ces derniers ont pu se contenter de sauver la conférence en renvoyant, au sein de comités techniques, la mise au point de diverses modalités nécessaires pour rendre l’Accord effectif, telle que la mesure précise des émissions de chaque secteur d’activité dans chaque pays. Car l’arrivée à la tête de la première puissance économique mondiale d’un président ayant ouvertement déclaré son mépris pour l’Accord de Paris rassure les pays qui l’ont signé pour éviter l’opprobre, mais qui n’envisagent pas encore les conversions qu’il implique. Imagine-t-on l’Arabie Saoudite, le Canada, la Russie, le Venezuela, etc. renoncer à exploiter leurs gisements de pétrole ou de gaz si les États-Unis poursuivent l’extraction de leur charbon ? Or, si l’on veut éviter un cataclysme climatique, l’essentiel de ces ressources fossiles devra rester sous terre…

Profil bas de l’Union européenne

Face aux pays peu motivés, la victoire de Donald Trump a amené d’autres États à réaffirmer leur volonté de lutter sans faiblir contre la menace climatique. En bâtissant un programme national très cohérent, la Chine pourrait ainsi prendre le leadership des pays les plus engagés, aux côtés de pays moins importants en taille mais exemplaires à plusieurs égards, tels que l’émirat d’Abu Dhabi, le Costa Rica ou la Norvège. À Marrakech, 22 de ces pays ont lancé la « Mission Innovation », destinée à accélérer les recherches sur sept thèmes essentiels pour les années futures. Surtout, les incertitudes sur la politique américaine ont mis en lumière la détermination des acteurs non étatiques. Ces derniers apparaissent comme de puissants moteurs de l’action. On ne parvient plus à les dénombrer ; mentionnons par exemple les villes et régions réunies dans la coalition « Under 2° » (dont dix États des États-Unis, six Länder allemands, quatre provinces canadiennes, etc.), les grandes entreprises ayant adopté des objectifs internes de réduction de leurs rejets (205 membres dans la coalition « Science Based Targets », de Coca-Cola à Sony, en passant par Ikea, Carrefour, Renault…), les 30 patrons les plus riches du monde (dont la fortune personnelle dépasse le PIB de nombreux États) dédiant des sommes respectables à la recherche via la coalition « Breakthrough Energy », etc. Une tentative de coordination de toutes les initiatives a vu le jour, le Partenariat de Marrakech, mais les associations revendiquent leur autonomie d’action.

L’Union européenne a fait profil bas à ­Marrakech, emmenée par la présidence slovaque du Conseil, peu démonstrative. Cette attitude effacée reflète probablement le pressentiment que de grosses difficultés attendent l’UE pour la mise au point des mesures lui permettant de respecter l’INDC annoncée, consistant en une réduction de 40 % de ses émissions d’ici 2030 (par rapport à leur niveau de 1990). Comment traduire cet objectif général, avalisé par le Conseil Européen d’octobre 2014, en une liste de progrès précis à accomplir par les 28 États Membres ? La Commission a posé les deux premières briques au cours des derniers mois, l’une avec sa proposition de réforme du système ETS (qui régit les émissions des grandes installations), l’autre avec sa proposition de répartition de l’effort entre les pays pour les émissions hors ETS.

Surcoût reporté sur les consommateurs

Cependant, l’exécutif européen est persuadé que les dispositions relatives aux émissions ne suffisent pas pour guider les États. La Commission a donc présenté le 30 novembre, après la clôture de la COP 22, un « paquet » intitulé « Une énergie propre pour tous les Européens », préconisant la révision de huit textes législatifs en vigueur et introduisant cinq nouveaux règlements, comprenant aussi une vingtaine de rapports, communications et documents de travail. Cet ensemble vise à modifier profondément la physionomie du système énergétique européen d’ici 2030, qui devrait être plus sobre en consommations et reposer davantage sur les énergies renouvelables. Celles-ci étant particulièrement développées pour la production d’électricité, le marché serait aménagé pour les accueillir et prendrait une envergure communautaire, grâce à un effacement des frontières techniques ou commerciales.

Compte tenu de la masse des textes à analyser, peu d’observateurs se hasardent à livrer une appréciation d’ensemble sur le paquet en ce début 2017. L’auteur de ces lignes ne se risquera pas à cet exercice, mais le travail mené au sein du groupe « Énergie & Climat » de Confrontations Europe à l’automne 2016 autorise néanmoins à formuler quelques remarques(1).

Il apparaît que la poursuite simultanée de plusieurs objectifs (réduction des émissions, efficacité énergétique, développement des sources renouvelables) aboutit à une dépense plus élevée que la poursuite d’un seul effort, la baisse des émissions. L’Europe y gagne en indépendance énergétique, mais le surcoût l’affaiblit dans la compétition internationale. Les États étant bien conscients de ce risque tendent à dispenser la grande industrie de sa part du surcoût, qui est alors reportée sur les consommateurs domestiques. Appauvris par la crise économique qui a amputé leur pouvoir d’achat depuis 2008, ces derniers sont de plus en plus nombreux à sombrer dans la précarité énergétique : selon l’étude Insight Energy d’avril 2015, plus de 10 % de la population éprouve des difficultés à payer sa facture dans 24 des États membres de l’UE et ce taux dépasse 20 % dans 14 États.

Par ailleurs, la Commission affirme que les nouvelles orientations vont créer de nombreux emplois. Il est probable qu’elles vont en détruire également un nombre important ; la mésaventure des fabricants européens de panneaux photovoltaïques face aux importations venues d’Asie incite à rester prudent. Mais même en supposant que le bilan soit positif, les nouveaux lieux de travail ne se situeront sans doute pas dans les mêmes régions et les mêmes secteurs d’activité que les anciens. Les États ne disposent pas tous des moyens de reconvertir les salariés et ceux-ci ne seront pas tous enclins à déménager vers les territoires qui sortiront vainqueurs d’une compétition accrue par les nouvelles règles de marché.

Ces considérations rendront certainement les 28 États très méfiants dans les discussions qui vont s’ouvrir autour du paquet « Énergie propre ». Après le Brexit, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, élu sur un programme franchement nationaliste, ne poussera pas les gouvernants européens à l’ouverture. Faute d’une solide volonté de partage de la part des pays détenant aujourd’hui les meilleurs atouts, de nombreux amendements aux textes initiaux seront nécessaires pour conclure. Rendez-vous en 2019, pour la COP 25…

1) On trouvera sur le site Internet de Confrontations Europe les comptes rendus des deux réunions tenues à Bruxelles sur « Les trajectoires de transition énergétique dans cinq États » et de la réunion tenue à Paris sur « Efficacité énergétique et réduction des émissions ».

 

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