Conventions démocratiques et territoires

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Confrontations Europe a organisé, le 19 septembre dernier à l’Université Paris-Dauphine, une conférence sur le thème « Europe et territoires » et consacré la dernière table ronde aux enjeux démocratiques en lien avec les « conventions citoyennes » proposées par le président français, Emmanuel Macron. Confrontations Europe met en évidence les conditions à réunir pour réussir cet exercice. Un Appel en faveur des Conventions démocratiques a été lancé par les Eurocitoyens sur proposition de Confrontations Europe.

Pas de refondation de l’Europe sans passer par la « case Démocratie ». La crise de la démocratie représentative est en effet profonde, partout en Europe, bien des citoyens expriment une défiance vis-à-vis des institutions. « Cela fait une quinzaine d’années que nous faisons face à un déficit de démocratie en Europe » souligne Grzegorz Makowski, directeur du programme « Intégrité publique » à la fondation polonaise Stefan Batory, faisant référence aux référendums néerlandais et français sur le projet de constitution européenne. Le sociologue rappelle que la moitié des Européens ne font pas confiance aux institutions européennes et que si 90 % des Polonais s’affirment favorables à l’Union européenne, seuls 40 % souhaitent une plus grande intégration européenne. Il faut, selon lui, progresser vers une Europe des citoyens quand nous n’avons aujourd’hui qu’une Europe des consommateurs.

Refonder une Union proposant une vision partagée d’un avenir commun des Européens répond ­parfaitement à cet enjeu de citoyenneté. Il s’agit dans les faits de transcender des cultures et des attentes très diverses. Au-delà des thèmes qui font facilement consensus (enjeux économiques et sociaux, lutte contre le réchauffement climatique, sécurité intérieure et extérieure, migrations…) la perception des problèmes et l’ordre des priorités (sans parler du contenu des solutions) sont très ­différents d’un pays à l’autre. Grecs ou Autrichiens, Allemands ou Espagnols, Polonais ou Français ne vivent pas de la même manière les enjeux de droits sociaux, d’accueil des migrants, de transformation de la production d’énergie…

Citoyens-consommateurs de la chose publique

« Pour rapprocher citoyens et projet européen le meilleur moyen est de travailler avec les collectivités territoriales et leurs représentants » souligne Christophe Chaillou, directeur général de l’Association française du conseil de communes et régions d’Europe. « Dans une grande partie de nos territoires ; il y a une profonde méfiance, voire un rejet important de l’Union européenne associée au chômage, aux migrants, aux coupes budgétaires. » Pour Christophe Chail­lou, les élus locaux n’échappent plus à la remise en cause du système de représentation alors que les citoyens ont des comportements de consommateurs de la chose publique. De là découle le paradoxe où des élus, surtout dans des petites communes, ne revendiquent pas l’apport de ressources européennes sur des projets locaux allant à des démunis pour ne pas aggraver les critiques dont ils sont la cible. Une attitude qui conforte les citoyens dans l’idée que l’Europe ne s’intéresse qu’aux grandes métropoles.

La proposition d’organiser des conventions démocratiques partout en Europe, permettant de mobiliser les citoyens sur son ­avenir, est saluée par tous les intervenants de la table ronde. « C’est par­ti­cu­lière­ment important de permettre l’implication des jeunes en Pologne alors que le pays rencontre quelques problèmes avec les règles démocratiques et que les jeunes sont désengagés » souligne Grezgorz Makowski. Mais comment réussir ces conventions démocratiques ? Claudia Chwalisz, consultante spécialisée sur les questions de démocratie délibérative et d’innovations démocratiques, a analysé une cinquantaine d’exemples de conventions, toutes à l’initiative de gouvernements en Australie et au Canada, met en évidence ce qui lui semble être de bonnes pratiques. Au départ une dizaine de milliers de citoyens sont sollicités au hasard. Dans un deuxième temps, parmi ceux qui ont répondu positivement, un groupe de 50 citoyens, formant un groupe représentatif de la population, sont sélectionnés – certains d’entre eux ne sont pas forcément familiers des débats publics. Le groupe pourra se réunir plusieurs fois sur plusieurs mois afin de s’approprier au mieux le sujet qu’ils doivent traiter. C’est alors que le groupe élabore des recommandations, les soumet au gouvernement, lequel, après les avoir étudiées, vient en discuter avec le groupe. Pour Claudia Chwalisz, « les conventions peuvent être un moyen de rassembler et dépasser les fractures qui traversent la société tout en relégitimant la décision politique ».

Autre outil au service de la démocratie locale, les plateformes numériques. Pour Chloé Pahud, cofondatrice de Civocracy, une start-up mettant en place des plateformes au service de collectivités locales, l’engagement local sur des problèmes locaux, malgré un contexte marqué par l’individualisme, est possible. Or, il est impossible de consulter l’ensemble des citoyens sur tous types de sujets tout au long de l’année. Une plateforme permet dès lors de cibler les parties prenantes et les citoyens concernés par une problématique. Mais ­l’appréhension des citoyens vis-à-vis de ces nouveaux outils est très variable selon les pays : les Pays-Bas ou la France sont plus réceptives à de tels outils que les Allemands par exemple. Les plateformes permettent des approches « top-down » (c’est le cas lorsque les élus en sont à l’initiative) qui fonctionnent comme des aides à la décision. Elles peuvent aussi s’inscrire dans une démarche « bottom-up », s’ouvrir à tout citoyen voulant soumettre un point de vue aux autorités locales. Chloé Pahud encourage dans ce cas l’identification du citoyen qui souhaite s’exprimer. L’un des défis est bien sûr d’aller chercher les citoyens que le numérique n’atteint pas. La plateforme numérique reste évidemment un moyen et non une fin. Elle peut être une aide précieuse, mais elle ne remplace pas la délibération.

L’importance économique et sociétale du territoire va croître. Il est un lieu d’innovation, de mise en réseau, de médiation, de soutien aux acteurs économiques et sociaux. Un lieu de rencontre de communautés plurielles choisissant ce qui fait sens dans le vivre ensemble et le respect de valeurs partagées, lieu d’organisation de la délibération. C’est aussi un lieu de redynamisation de la démocratie permettant d’articuler des formes participatives et la démocratie de représentation. Les territoires sont des lieux pivots entre citoyens et institutions pour les conventions démocratiques.

La diversité de situations et d’opinion des Européens doit absolument être prise en compte comme l’ont rappelé l’ensemble des intervenants. Refonder l’Europe c’est à la fois un processus de long terme et la nécessité de décisions rapides, c’est avancer ensemble en tenant compte des situations particulières. On imagine sans peine que les pays qui doivent affronter très prochainement des échéances électorales ou qui sont confrontés à des problèmes nationaux difficiles ont autre chose à faire que de se lancer dans des conférences citoyennes séance tenante. Là aussi ne projetons pas notre rythme national sur le calendrier des autres Européens. Mais avançons ensemble, en regardant par-delà les frontières.

Cet article n’offre une synthèse que de la troisième table ronde de la Conférence « Europe et Territoires ». Les Actes complets seront publiés dans leur intégralité et mis en ligne sur notre site : https://confrontations.org.

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