Consultations citoyennes : Transformer l’essai

Clotilde WARIN

Rédactrice en chef de La Revue, Confrontations Europe

Un débat pour que les citoyens des 27 États membres puissent dire ce qu’ils pensent de l’Europe d’aujourd’hui et esquisser la forme de l’Europe de demain. Tel était l’objectif des « consultations citoyennes sur l’Europe » qui se sont déroulées d’avril à octobre 2018. Près de 1 800 débats ont été organisés, la majorité en France. Qu’en est-il ressorti ? Quelles pistes ont été esquissées ? Quel regard poser sur une telle initiative ? Ambitieuse mais qui semble avoir été quelque peu invisible.

L’Europe ne séduit plus. Ne convainc pas. Voire déplaît. C’est ce constat sans appel qui a conduit Emmanuel Macron dès son élection à appeler de ses vœux la tenue de « conventions démocratiques sur l’Europe » dans son discours à la Sorbonne de septembre 2017. L’idée – ambitieuse – est alors de lancer un vaste débat participatif et populaire dans l’ensemble des États membres sur l’Europe. La proposition se heurte à une forme d’indifférence polie mâtinée d’une forme de défiance de la part de pays qui ne considèrent pas une telle initiative comme prioritaire, voire qui la jugent bien trop franco-française. Le projet perd quelques plumes au passage en se transformant en simples « consultations citoyennes » quelques mois plus tard.

Lancées en avril dernier dans les 27 États membres, ces consultations se sont achevées à la fin octobre. Si le calendrier a été respecté par l’ensemble des États volontaires, le processus a été mené sur le terrain de façon très diverse : certains pays n’ont organisé aucun débat – c’est le cas de l’Italie ; d’autres ont choisi de chapeauter entièrement le processus voire de l’orienter comme en Pologne ou en Hongrie ; d’autres encore ont rejoint timidement la démarche, organisant très peu de rencontres. Les débats ont aussi pris des formes très différentes : réunions thématiques ou conférences revêtant un intérêt national ou européen. La méthodologie se devait d’être participative et l’objectif était de faire remonter les attentes citoyennes à un plus haut niveau.

Le « bon élève » France
Le but a-t-il été atteint ? Rien n’est moins sûr tant ces consultations sont restées invisibles aux yeux du grand public, même en France qui fait pourtant figure de très bon élève. De fait, si l’on en reste aux chiffres, sur les 1 700 événements qui se sont tenus au cours de ces sept mois dans les 27 États membres près de 1 100 ont eu lieu en France ! La France a en effet choisi de mettre les petits plats dans les grands créant une structure dédiée : le secrétariat général des consultations citoyennes dépendant directement du ministère des Affaires européennes et sise au Quai d’Orsay. Un conseil d’orientation composé de personnalités spécialisées dans les affaires européennes, parmi lesquelles Marcel Grignard, président de Confrontations Europe, venait en appui de cette antenne. Et un comité de surveillance rassemblant un représentant politique par parti politique présent à l’Assemblée nationale en garantissait l’indépendance. En France, chaque porteur de projet a dû faire labelliser son initiative et envoyer les conclusions par écrit au secrétariat général. Cette immense somme de données a été analysée afin de dresser un panorama synthétique des attentes des citoyens. Le résultat est édifiant, voire étonnant. Les 70 000 citoyens français qui ont participé aux consultations souhaitent plus d’Europe, une Europe plus écologique, plus éthique et à même de les protéger grâce à une plus forte harmonisation des règles fiscales et sociales. Plus solidaire aussi notamment afin de mieux accueillir les migrants. Bien sûr, on est en droit de se demander si les citoyens qui se sont déplacés lors de ces consultations citoyennes sont représentatifs de l’ensemble de la population française et si cette ambition affichée à la fois humaniste, sociale et environnementale, qui est aussi celle de Confrontations Europe, s’exprimera de façon significative en mai prochain dans les urnes lors du scrutin européen.

Expériences inégales
Ces attentes françaises sont-elles d’ailleurs partagées ailleurs en Europe ? Sans doute pas vraiment comme l’atteste la synthèse(1) des consultations citoyennes proposée à l’issue du Conseil européen du 14 décembre dernier qui est de toute façon à prendre avec prudence tant il a dû être difficile d’établir une synthèse à partir de comptes rendus d’expériences nationales si diverses et inégales. De fait, peu de débats ont eu lieu ailleurs en Europe. Seuls quatre pays (Allemagne, Espagne, Finlande et Danemark) ont organisé une centaine d’événements, ce qui reste un chiffre assez faible. Douze autres États membres, parmi lesquels Malte, les Pays-Bas ou la Pologne, en ont compté moins d’une vingtaine. Et il a été impossible aux analystes d’EPC rédacteurs du rapport sur les consultations citoyennes(2) de trouver des informations sur ce qui a eu lieu à Chypre, en Autriche, en Bulgarie ou encore en Grèce…

Le rapport commun élaboré à l’issue du Conseil européen du 14 décembre dernier n’apporte pas tout à fait les mêmes conclusions que la synthèse française. C’est en premier lieu l’inquiétude face à l’enjeu migratoire qui est mis en relief dans sa conclusion, ou l’importance que les citoyens accorderaient au marché unique. Les quatre points suivants se rapprochent certes un peu plus de la synthèse française : les citoyens auraient ainsi exprimé leur volonté de voir l’Union européenne devenir un acteur de premier plan dans la lutte contre le changement climatique, auraient fait part de leur souhait de voir l’UE réduire les inégalités sociales et économiques, s’imposer sur la scène mondiale notamment en complémentarité de l’OTAN et réussir à définir une identité européenne commune.

Que retenir d’un tel projet ? Les consultations citoyennes apparaissent surtout comme un coup d’essai qui est loin du coup de maître, sans doute car en amont aucune réflexion n’a été menée sur les précédentes expériences de consultations menées dans les différents pays. Dès octobre 2017, Confrontations Europe avait tenu à souligner son enthousiasme face à l’initiative des « conventions démocratiques » souhaitées par Emmanuel Macron et avait à cette occasion signé un Appel en leur faveur avec les Eurocitoyens(3). L’un des premiers souhaits de Confrontations Europe était alors que ces consultations soient l’occasion d’« entendre toutes les opinions y compris ceux qui sont, parfois depuis longtemps, dans le doute, voire le rejet ». Il est clair qu’en France en tout cas ces conférences n’ont pas permis que s’établisse un large débat notamment avec les plus eurosceptiques des citoyens et c’est évidemment dommage. Les consultations ont été en France bien prises en charge par les associations agissant sur le terrain de l’Europe comme la tribune y invitait. Il n’est pas sûr néanmoins que cela ait été le cas dans des pays comme la Pologne ou la Slovaquie dans lesquels le processus a été entièrement porté par l’État. Autre lacune du processus tel qu’il s’est déroulé : son caractère bien trop cloisonné dans les frontières nationales. Certes la ministre des Affaires européennes, Nathalie Loiseau ou le président Emmanuel Macron se sont déplacés à l’étranger notamment à Malte, en Croatie ou encore au Portugal ou au Luxembourg pour participer à des consultations citoyennes. Mais peu d’événements ont rassemblé des citoyens de pays différents. Pire, le projet a été même instrumentalisé par certains États comme la Pologne qui, comme le rappellent les rapporteurs d’EPC, ont tenté de servir leurs intérêts nationaux en axant les débats sur les thématiques de souveraineté et de sécurité. Or, l’une des requêtes de Confrontations Europe avait été dès l’automne 2017 d’« intégrer le regard des autres Européens ». Enfin, l’un des souhaits exprimé avec force dans cet appel était justement d’« aller au-delà d’un processus consultatif » et rappelait que « seul un processus délibératif, s’inscrivant dans la durée permet une véritable appropriation des enjeux et, à terme, le reflux des risques populistes ». Là encore, le bât blesse puisque le caractère consultatif a été retenu. Il conviendrait sans doute afin de ne pas sombrer définitivement dans le pessimisme de souhaiter que les synthèses des débats ne restent pas lettre morte.

Les résultats actuels doivent être pris en compte, notamment par les candidats au Parlement européen qui feront campagne au printemps 2019. Ces consultations pourraient permettre d’évoquer des thématiques résolument européennes tant sur le plan fiscal, migratoire, climatique, économique ou social et d’envisager leur prise en compte à l’échelon européen. Cette exigence apparaît d’autant plus forte, en particulier en France, au moment où la crise des « gilets jaunes » semble entraîner de graves confusions : les intérêts individuels qui s’expriment dans la rue reflètent-ils l’expression d’un collectif ? Quelle représentativité a une minorité qui se fait entendre avec force dans la rue ?

Comme l’écrivait Marcel Grignard, président de Confrontations Europe : « Si la somme des intérêts individuels des citoyens ne fait pas l’intérêt général, la manière dont les États expriment leurs intérêts nationaux ne permet pas davantage de construire l’intérêt commun des citoyens européens »(4). Il convient de ne pas manquer la prochaine étape : inscrire les consultations citoyennes dans un véritable cadre transnational et ne pas laisser l’apanage du « transfrontière » aux seuls nationalistes et europhobes. Il ne faut pas attendre le Sommet de Sibiu de mai 2019 pour faire vivre les enjeux évoqués par les citoyens dans le débat public. La campagne en vue du renouvellement du Parlement européen doit être l’occasion d’en débattre un peu partout en Europe.

1) Rapport conjoint des consultations citoyennes, Conseil de l’Union européenne, 14535/18, 3 décembre 2018.

2) The European Citizens’ Consultations, Evaluation Report by Corina ­Stradulat and Paul Butcher, European Policy Centre and The Democratic Society, November 2018.

3) Retrouvez l’intégralité du texte sur le site de Confrontations :          https://confrontations.org/non-classe/conventions-democratiques-la-societe-civile-au-coeur-de-la-refondation-de-leurope.

4) Cf. « Les consultations citoyennes : belle initiative dans un drôle de ­climat », juillet-septembre 2018, p 30.

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