Consultations citoyennes : qu’en attendre ?

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Le candidat Emmanuel Macron a suscité de forts espoirs avec sa proposition de « conventions démocratiques » à l’appui de son projet de refondation d’une « Europe unie, souveraine et démocratique ». Adopté par 26 pays de l’Union, ces conventions rebaptisées « consultations citoyennes », vont-elles répondre aux attentes des citoyens ?

Les citoyens européens vont être invités, via les « consultations citoyennes » à s’exprimer sur le futur de l’Union européenne. Le processus qui va démarrer est une réelle opportunité. Permettra-t-il d’associer véritablement les citoyens à la refondation de l’Union ? Que peut-on raisonnablement en attendre ?

Élu président de la République, Emmanuel Macron a réaffirmé, le 3 juillet, devant le Congrès réuni à Versailles, puis, le 7 septembre à Athènes, sa promesse de campagne : ­travailler à refonder l’Union européenne, y associer les citoyens grâce à la tenue de « conventions démocratiques ». Nous avions alors salué l’engagement du président prenant en compte à juste titre la distance croissante entre les citoyens et les politiques européennes et le risque d’éclatement de l’Union. Nous étions d’emblée en faveur d’une refondation qui ne pouvait être menée qu’en y associant les citoyens(1). Nous soulignions cependant la nécessité d’en faire une démarche européenne, de prendre garde à ne pas proposer une projection nationale à un futur européen.

Finalement, 26 États membres – seule la Hongrie va manquer à l’appel – ont décidé de mettre en place des « consultations citoyennes » sur leur territoire, et le processus est soutenu par la Commission. Elles vont se dérouler de mi-avril à fin octobre, et s’achever juste avant le début de la campagne des élections européennes. En décembre 2018, le Conseil européen devrait se saisir des résultats de ces consultations et tenter de répondre aux attentes et préoccupations qu’elles mettront en lumière.

Le passage des « conventions démocratiques » aux « consultations citoyennes » traduit un ­véritable cheminement : d’une proposition au contour indéfini portée dans un contexte électoral national, nous sommes passés à une démarche concrète adoptée (ou acceptée) par la presque totalité des responsables des pays de l’Union. Or, qu’il s’agisse de la manière d’associer les citoyens à la définition de la chose publique, de ce qui est attendu en matière de futur de l’Union européenne, la diversité prime et il faut aussi compter sur des agendas nationaux et des priorités politiques propres à chaque État membre. Le compromis qui en résultera permettra de prendre en compte la diversité des préférences et des cultures.

Réponse positive mais limitée à la crise démocratique

La crise de la démocratie et la crise du politique se traduisent par une distance accrue (quand ce n’est pas de la défiance) entre les citoyens, les responsables politiques et les institutions. Ces crises affectent à des degrés divers les pays de l’Union et l’Union européenne elle-même. Le rapport entre pouvoir politique et citoyen se construit (et se délite) pour l’essentiel dans l’espace national. La démocratie européenne souffre des limites des démocraties nationales et de ses propres limites.

Donner la parole aux citoyens est à la base de nos démocraties, c’est évidemment insuffisant pour la faire vivre, a fortiori pour relever les défis auxquels nos démocraties européennes sont confrontées. C’est en effet par la délibération que l’on peut progresser dans la compréhension des enjeux, prendre conscience des interdépendances, valoriser les compromis qui formalisent des étapes progressives du vivre ensemble. Ce sont là les conditions qui permettront de franchir de nouveaux pas dans une souveraineté partagée au sein de l’Union européenne.

Revivifier la démocratie n’est pas seulement « donner la parole », cette prise de parole doit pouvoir s’inscrire dans la délibération, la décision, la capacité de faire ensemble. Nous avons besoin de véritables processus participatifs, qui s’inscrivent dans la durée.

Risques et opportunité

Le gouvernement français propose à la société civile d’être à l’initiative des consultations citoyennes, d’organiser des événements qui pourront être labellisés comme tels à condition de respecter certains principes tels le pluralisme, le caractère public et la transparence des débats (en particulier du compte rendu qui viendra alimenter la consolidation de ce qui sortira des consultations). Donner ainsi de l’espace aux initiatives devrait permettre la multiplication de tels événements et la participation de nombreux citoyens.

Mais subsiste un risque : celui de ne pas dépasser les cercles habituels des Européens (ou des anti-Européens) convaincus. De laisser de côté tous ceux qui, petit à petit, se sont mis à douter de l’Europe et qui ont, parfois (souvent ?), le sentiment que leurs voix ne seront pas entendues. Ces citoyens auront-ils seulement connaissance de l’existence de ces consultations citoyennes ? Il est possible que ces consultations produisent une image déformée de la réalité ; les « sachants » auront pris la parole, les autres non, ce qui accentuera les fractures alors que le but est de les réduire. Le fait que, parallèlement, une consultation ait lieu via une plateforme numérique risque sans doute aussi d’accentuer ce phénomène de rupture.

Il faut par ailleurs souhaiter que les débats organisés dans le cadre de ces consultations associent des Européens non nationaux, afin de prendre en compte les diversités d’un destin commun européen et nous éviter une approche trop nationale.

Il va aussi falloir dépasser les difficultés souvent rencontrés dans les débats ouverts aux citoyens sur les grands sujets de société, comme nous l’avons vu à propos des OGM, du nucléaire, des nanotechnologies ou de bioéthique. Il n’est pas rare qu’ils donnent lieu à des affrontements entre « pro » et « anti » sans faire progresser le débat, voire en l’entravant.

Un levier pour l’avenir de l’Union européenne

En aboutissant à l’engagement de 26 États, les consultations citoyennes enclenchent un processus européen. Cependant les démarches nationales seront d’ampleur inégale et marquées par les diversités de nos pratiques et cultures nationales en termes de débats associant les citoyens du fait en particulier du rôle et de la structuration de la société civile. Les problèmes purement nationaux ne seront pas non plus sans effet sur la tenue et le contenu des consultations

Il ne sera pas aisé de rassembler et consolider les résultats de ces consultations citoyennes issues de vingt-six pays et d’en synthétiser le contenu d’un point de vue européen. D’autant qu’il faudrait résister à la tentation de gommer les différences culturelles par commodité, les considérant comme un obstacle alors qu’elles constituent une richesse. Il sera sans doute encore plus difficile d’en faire un levier ouvrant la voie à une possible refondation. Ces consultations ne seront qu’un des paramètres (et quel en sera le poids ?) dans le « deal » entre chefs d’État et de gouver­nement, dans les compromis qu’ils concluront avec le futur Parlement européen et la Commission qui sera élue pour le mandat 2019-2024.

Il va sans dire que nous souhaitons que ces consultations citoyennes soient couronnées de succès. Pour cela, il faudra les inscrire dans un processus de long terme dont l’esquisse n’est pas encore à l’agenda des responsables européens. Elles devront, tout d’abord, déboucher sur un état des lieux qui ne gomme pas les différences culturelles entre les États et qui pose en profondeur des éléments de diagnostic et décrypte les attentes des citoyens. C’est ce qui offrira un socle solide aux débats à venir et permettra d’interpeller de façon juste et précise les décideurs européens.

Dans un deuxième temps, il faudra que ces consultations menées dans les différents États membres nous permettent d’établir un état des lieux en Europe de la diversité des cultures et des pratiques en matière de participation des citoyens et de processus délibératif, et plus largement du rôle des sociétés civiles. Ce qui nous permettra de travailler à leur possible convergence.

Les progrès sur le plan européen sont lents. Parvenir à l’Union européenne souhaitée prendra du temps. Une consultation citoyenne réussie ne suffira ni à résoudre le défi démocratique ni à refonder l’Union européenne mais elle peut être le point de départ d’un vrai renouveau. Si ces consultations ne sont qu’un moment isolé dans l’Union, si elles ne parviennent pas à transformer en profondeur et dans la durée la participation des citoyens, elles risquent d’être perçues comme un simple exercice de communication.

1) Confrontations Europe a lancé un Appel en faveur des conventions démocratiques en partenariat avec les Euro citoyens en octobre 2017.

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