Construire la souveraineté européenne

Édouard SIMON

Directeur du bureau de Bruxelles

Des projets concrets à mener en commun, voici ce qui fait encore trop défaut à l’Europe et qui pourrait permettre d’animer une Union si souvent déboussolée par les incertitudes du monde. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a appelé de ses vœux l’avènement d’une « souveraineté européenne ». C’est là un vrai projet politique qui donne un sens à l’Europe.

L’Union européenne doit se refonder autour de projets et de politiques concrets reflétant, d’une part, ce que les Européens veulent faire ensemble et sont prêts à partager et concrétisant, d’autre part, la valeur ajoutée du projet européen. L’Europe est ainsi attendue dans des domaines précis (climat, défense, etc.). Mais elle est également attendue comme projet de civilisation, comme identité projetée dans un monde marqué par l’affirmation identitaire d’autres puissances. D’ailleurs ce sentiment parfois diffus que nous ne sommes ni les États-Unis ni la Chine est probablement ce qui tient les Européens ensemble malgré les puissantes forces centrifuges qui animent l’Union. Au-delà donc des projets, l’Europe a besoin d’un projet politique d’avenir pour guider ces projets et redonner du sens à son action, mais également aux transformations (démographique, numérique, écologique) qui s’imposent à elle.

Dans ce qui sera son dernier discours sur l’état de l’Union, Jean-Claude Juncker a tissé un projet pour le futur de l’Europe : celui d’une Europe souveraine dans un monde incertain et dangereux : « La géopolitique nous apprend que l’heure de la souveraineté européenne a définitivement sonné ». En utilisant un concept français mais en lui donnant un contenu allemand (« Weltpolitikfähigkeit », cette capacité à être un acteur politique mondial), Juncker esquisse une vision susceptible de réunir les Européens et de réduire leurs multiples fractures. Sa vision de la souveraineté européenne n’est pas exactement la même que celle d’Emmanuel Macron mais elle a en commun avec elle de ne pas être limitée aux questions de défense, de porter également sur les questions climatiques, la sauvegarde des emplois ou la maîtrise des défis de la numérisation de l’économie. Dans cette conception, la souveraineté (qu’elle soit européenne ou nationale) est remise à sa juste place : non celle d’un fait (qui se révèle bien souvent être une illusion) mais un projet à construire, à savoir donner à l’Europe les moyens de ne pas être une « victime de l’Histoire(1) » mais maître de son destin.

Prospérité partagée

Tout l’enjeu de l’agenda de la refondation de l’Union est d’aboutir à un compromis dynamique et fort permettant à chacun d’exprimer son identité dans un projet collectif. Encore faut-il que les sociétés et les classes politiques s’en saisissent et enrichissent le débat. Car, le discours sur l’état de l’Union ne fait qu’ouvrir le débat et est loin de le clore. En particulier, la question des conditions d’un développement économique et social durable de l’Europe n’est jamais vraiment traitée. Elle doit l’être. L’Union européenne ne s’est pas seulement bâtie sur le projet d’une paix perpétuelle, mais également sur celui d’une prospérité partagée. Or, où en sommes-nous de cette promesse après 10 ans de crise(s) et presque 20 ans après la stratégie de Lisbonne ?

Le projet d’une souveraineté européenne doit permettre à l’Europe de se réapproprier les moteurs de la production de sa richesse. Reinhard Bütikofer, eurodéputé vert allemand et auteur d’un très riche rapport sur la réindustrialisation de l’Europe comme facteur de compétitivité et de durabilité(2), pointe très justement que, face à la Chine et aux États-Unis, seule une stratégie industrielle commune peut permettre aux Européens de ne pas être distancés en termes technologiques ou financiers, donc économiques(3). De même, Patrick Artus(4) montre bien en quoi le développement d’un capitalisme européen, c’est-à-dire ouvert sur le monde, coopératif et orienté sur le long terme (reflétant ainsi des préférences collectives différentes de celles des Américains et des Chinois) est conditionné en partie au moins par le développement d’un actionnariat européen des entreprises européennes. Autant de voix plaidant avec optimisme en faveur de projets pour et par l’Europe !

1) Ivan Krastev, Le destin de l’Europe, éd. Premier Parallèle, 2017.

2) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+ REPORT+A7-2013-0464+0+DOC+XML+V0//FR

3) Lire l’article de Reinhard Bütikofer page 24.

4) Lire l’article de Patrick Artus page 25 et son récent livre, Et si les salariés se révoltaient ?

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