À l’horizon 2025, quelles préférences sociales européennes ?

Anne MACEY

Déléguée générale de Confrontations Europe

Les présidents Juncker et Macron ont prononcé, cet automne, des discours visionnaires pour l’Europe. Mais s’ils semblent avoir pris la mesure des transformations nécessaires, est-ce le cas pour la dimension sociale de l’Union qu’ils entendent construire ?

« L’Union européenne a toujours eu une dimension sociale », depuis le Traité de Rome, mais aujourd’hui « la convergence entre pays s’est considérablement ralentie, voire arrêtée, dans la mesure où les pays plus performants progressent plus vite »(1).

Répondre aux défis communs suppose de nous accorder sur nos aspirations sociales collectives. C’est le sens du débat qu’entend lancer le livre blanc sur l’avenir de l’Europe de la Commission européenne et du document de réflexion sur la dimension sociale de l’Europe qui l’accompagne. Le « social » recouvre des réalités différentes selon les pays.

Les sociétés européennes offrent les plus hauts niveaux de protection sociale au monde et tendent à valoriser davantage qu’ailleurs le dialogue des parties prenantes. Mais si les champions de la performance sociale sont en Europe, l’ampleur des mutations à l’œuvre oblige à une réinvention permanente pour préserver nos modèles.

Dans ces conditions, que peut, que doit faire l’Europe ? Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a insisté, tout comme Emmanuel Macron sur le respect de normes et standards élevés. Ils se sont dits favorables à une convergence fiscale et sociale vers le haut : assiette commune pour l’impôt des sociétés, Autorité commune pour faire respecter les règles en matière de mobilité du travail, socle européen de droits sociaux…

Ne pas réduire le social aux « droits fondamentaux »

Or, nous ne pouvons pas penser le progrès social sans penser le progrès économique. Réduire le social aux « droits fondamentaux » est certes utile mais très insuffisant. Ce n’est pas ainsi qu’on créera la dynamique nécessaire de responsabilisation des entreprises combinant performance économique, sociale, environnementale. Nous avons une fâcheuse tendance à considérer que « le social suivra », qu’on « compensera les adaptations ». Si certaines régions capitales (Prague, Bratislava…) sont plus riches que nous, nous ne pouvons faire l’impasse sur la polarisation industrielle sur certaines régions ou pays et le dépérissement industriel, social, territorial, humain ailleurs.

Retrouver le sel de la civilisation européenne suppose d’agir sur plusieurs paramètres :

– valoriser le travail humain non plus comme un coût mais comme un investissement de compétitivité. Faire évoluer nos politiques et outils de gestion à courte vue (comptabilité…) ;

– redéfinir la mission de l’entreprise comme projet collectif pour l’ensemble des parties prenantes : actionnaires, managers, travailleurs(2), territoires, associations environnementales, de consommateurs ;

– élever les capacités humaines en investissant massivement là où il y en a besoin (compétences adaptées au marché du travail, organisation du travail…), plutôt que de faire le choix myope de rapprocher le coût du travail de la productivité ;

– créer les conditions pour que chaque pays, chaque territoire, puisse monter en compétitivité dans la compétition mondiale. Penser stratégiquement à l’échelle de l’Europe les coopérations industrielles entre régions fondées sur les synergies et complémentarités ;

– débattre collectivement des arbitrages des négociations commerciales, la transparence ne suffit pas ! Mieux prévoir et accompagner les restructurations industrielles et sociales qui vont avec, même si elles débouchent sur un solde « net » d’emplois ;

– intégrer dans la politique de concurrence des préoccupations de politiques publiques autres que la minimisation du prix pour le client final ;

– réinternaliser les externalités et transformer les modèles de marché ; ce qui suppose de se mettre d’accord sur qui paye quoi ;

– refonder l’Union passe aussi par un gou­vernement capable de choisir entre des options claires de politiques publiques. Une « gouvernance »-monitoring administratif d’une convergence par les règles ne saurait transformer nos comportements vers des entreprises et des sociétés durables.

Pour ne pas décevoir les citoyens qui ont foi en l’Europe, ou pour conquérir ceux qui ne croient pas en elle, l’Europe devra renouer avec une dynamique qui réarticule l’éco­nomique et le social.

1) Retrouvez l’intégralité du document de réflexion sur la dimension sociale de l’Europe publié par la Commission européenne, en avril 2017.

2) Lire la tribune publiée, le 6 octobre dernier, dans Le Monde intitulée « La codétermination serait indispensable à une véritable réforme du code du travail » signée notamment par Marcel Grignard, président de Confrontations Europe.

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